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Un rapport fiche les musulmans de France

La publication, par l’institut Montaigne, d’un rapport supposé dépeindre l’étendue « islamiste », crée la polémique depuis dimanche en France. Intitulé « La fabrique de l’islamisme », ce dossier de plus de 600 pages a créé un véritable scandale dans les rangs des musulmans, tant pour son contenu que pour la méthodologie adoptée. Le rapport stipule que toute personne de confession musulmane ou supposée par son nom est un islamiste s’il participe à des campagnes antiracistes ou contre l’islamophobie. 

Les origines de la controverse sont d’abord liées à l’auteur, lui même, de ce rapport : Hakim El Karoui.

Ce franco-tunisien de 47 ans n’est autre que l’ancien conseiller de l’ex-président tunisien Ben Ali, avec qui il avait travaillé pour tenter d’éteindre la révolution jusqu’au 14 janvier 2011, jour de la fuite du chef de l’Etat. El Karoui est également le neveu de l’ex Premier ministre tunisien Hamed Karoui (1989-1999) et conseille, désormais, le président français Emmanuel Macron sur toutes les questions liées à l’Islam.

S’agissant de la définition retenue par l’Institut Montaigne pour déterminer « l’islamisme », il s’agirait d’une « interprétation du monde, une vision de l’organisation de la société, (…) et un rôle donné à la religion dans l’exercice du pouvoir ». Les observateurs n’ont pas manqué de relever que cette définition pourrait également correspondre au judaïsme et au christianisme.

Dans les faits, le rapport affirme, que « l’islamisme » serait en pleine expansion dans le pays et que l’offensive est menée par des prédicateurs et pays étrangers mais aussi des militants français.

Selon l’Institut Montaigne, « l’islamisme » opposerait « la norme religieuse » à la « liberté individuelle ». Hakim El Karoui explique dans son écrit qu’il est nécessaire de « comprendre l’appareil idéologique, organisationnel et militant qui a été mobilisé » dans la propagation de « l’islamisme » au pays des lumières. Pour preuve, il n’hésite pas à donner l’exemple « de la nourriture halal » qui serait devenu la marque de l’islamisme.

Pour y pallier, il propose notamment une « réorganisation du culte » musulman, ce qui rejoint les intentions exprimées par le président français à plusieurs reprises.

Au niveau du fond, le rapport de l’Institut Montaigne cite de nom une panoplie de militants, cadres associatifs et personnalités publiques, sand donner des arguments scientifiques pouvant justifier les différentes allégations.

Ces acteurs sont présentés comme étant des « islamistes » en raison de leur positionnement, notamment, sur les réseaux sociaux.

Parmi les principaux opérateurs incriminés, figure le site d’information Al Kanz.

Son fondateur, Fateh Kimouche s’est confié à Anadolu suite à la publication de ce document en estimant qu’il existe « une volonté indigéniste » de contrôler les musulmans.

Pour lui, l’Etat cherche à « serrer les musulmans parce qu’il y a eu des attentats en France ». Il dénonce également « l’ingérence du gouvernement » dans les affaires cultuelles avant de trancher : « on peut se gérer seuls et on va se gérer seuls ».

Mais Fateh Kimouche n’est pas le seul à être mentionné.

Marwan Muhammad, initiateur en mai dernier d’une « grande consultation des musulmans » et ex-directeur exécutif du CCIF (Collectif Contre l’Islamophobie en France) y occupe une place importante.

Pour cause : sa notoriété sur les réseaux sociaux et sa capacité à mobiliser les jeunes générations sur la toile. S’il est qualifié par l’institut Montaigne de « militant antiraciste », il figure notamment dans un chapitre intitulé « les réseaux sociaux, formidable caisse de résonance de la prédication islamiste ».

Dans ce tableau aux allures de fichage, Hakim El Karoui recense les vingt comptes Twitter les plus influents et les qualifie, tour à tour, de « salafiste », « frériste » ou encore « rigoriste », sans qu’aucune explication ne vienne étayer cette classification.

Au fil des pages, apparaissent des comparaisons étonnantes. On y apprend par exemple que Rachid El Jay, imam de Brest (nord ouest) a presque atteint le même nombre d’abonnés sur Facebook que l’animateur de télévision Cyril Hanouna ou encore le site d’information « Islam et Info » qui possède près de 50000 abonnés de plus que la « Fédération Française de Football ».

Pour Marwan Muhammad, interrogé par Anadolu, « on découvre que Hakim El Karoui considère comme [islamistes] tous les musulmans qui portent de l’importance à leur religion ».

Il pense d’ailleurs que « ce rapport ne vise qu’à légitimer la prise de contrôle des structures musulmanes » et recadre le débat en affirmant que « la nécessité est aujourd’hui d’apporter des solutions concrètes aux musulmans plutôt que de s’agiter pour plaire à un quelconque électorat ».

Même son de cloche du côté d’un imam très populaire sur les réseaux sociaux et qui est, lui aussi, mis en cause.

Réagissant sous couvert d’anonymat, il dénonce au micro d’Anadolu « un rapport dans lequel on apprend que les mosquées seraient tellement infréquentables qu’il est préférable d’enseigner l’arabe à l’école publique » et le fait que « les imams sont considérés comme [fréristes] ou [salafistes] dès lors qu’ils sont écoutés et appréciés par un grand nombre de personnes ».

Pour cet homme de terrain, « le raisonnement est tellement simpliste qu’on se rend compte que certains sont vraiment loin d’apporter des solutions concrètes ». « Il faut une structure musulmane indépendante et sérieuse qui garde une relation franche et apaisée avec le gouvernement », tranche-t-il.

Pour Nabil Boudi, avocat au barreau de Paris, « on ne peut pas prétendre lutter efficacement contre le terrorisme et être autant à côté de la plaque ». Il dénonce un probable « règlement de comptes ».

Le ministre de l’Intérieur Gérard Collomb a rapidement réagi à la publication de ce rapport controversé dans un communiqué de presse, en saluant « le travail très approfondi ».

Il indique avoir pris « bonne note des propositions formulées », et les trouve « très intéressantes ». Parmi ces propositions, figurent notamment la création d’une taxe sur les produits « Halal » ou encore la création d’un « Tracfin islamique » (destiné en scruter les flux financiers des structures musulmanes).

Cela étant, l’Islam et les musulmans continuent à faire couler beaucoup d’encre en France où le thème suscite depuis des années, crispations et tensions. ​

Certains musulmans estiment que ce rapport s’inscrit dans la lignée du néocolonialisme et qu’il s’agit purement d’un fichage dans le but d’intimider des personnalités musulmanes « à se taire » et ne plus revendiquer aucun droit.

Fatih KARAKAYA
Source AA