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Tourisme : Fréquentation record de la Mosquée Ayasofya malgré la propagande occidentale

De mémoire d’homme, jamais une affaire interne à une nation souveraine n’avait fait autant de vague à l’international quant au changement de statut d’un de ses édifices.

En réalité, la conversion d’Ayasofya en musée, à l’initiative de Mustafa Kemal Atatürk en 1934, n’a eu de cesse d’être discutée de manière plus ou moins vigoureuse depuis son premier jour.

Pourquoi un tel changement ?

Après l’effondrement de l’empire ottoman, la jeune République turque, sous l’impulsion de Mustafa Kemal, opère des changements radicaux vers une occidentalisation à pas forcés, Parmi ces réformes, celles qui auront le plus affecté la population sont sans doute les réformes touchant le culte et ses symboliques.

Outre l’abolition du califat et l’interdiction des confréries, la tenue vestimentaire imposée, l’appel à la prière en turc et la fermeture de certaines mosquées feront prendre conscience à la population, très largement religieuse, que les intentions du nouveau maître du pays vont à contre sens de leurs espoirs.

Ainsi après avoir pris place aux côtés du pacha ottoman Mustafa Kemal pendant la guerre d’indépendance (1919-1923), nombre de ses frères d’armes, dignitaires religieux ou simples citoyens ottomans déchantent face à la politique visant à nier le passé ottoman imprégné de la culture islamique.  Des révoltes éclatent alors aux quatre coins du pays qui seront de facto réprimées dans le sang.

Les savants musulmans à l’initiative (ou pas) des contestations seront pendus en place publique. Les anciens combattants de haut rang, comme Fevzi Cakmak ou Kazim Karabekir, seront quant à eux ménagés mais tenus à l’écart et sous haute surveillance.

En 1930 à Ayasofya des travaux de restauration sont entrepris. Cinq années plus tard, au grand dam des fidèles et pour le bonheur d’autres, l’ancienne basilique devenue mosquée depuis 1453 n’ouvrira pas ses portes comme étant une mosquée mais un musée. Mustafa Kemal, devenu Atatürk entre temps, l’expliquera par un souhait d’ouverture au monde et un gage de son attachement à l’universalisme à « l’occidental ».

Coupure de journal qui annonce « l’ouverture du musée Sainte-Sophie »

Pas à pas durant 86 années, un retour à la normale.

Durant les 86 années où Ayasofya fut orpheline de ses fidèles, ses derniers n’ont jamais cessé de remettre en cause son nouveau statut. Plus timides dans un premier temps par peur des représailles d’un État fleurtant avec la dictature et gouverné par un parti unique crée par Atatürk, les contestations se feront de plus en plus entendre après le passage à un système pluripartite.

Le passage à une meilleure démocratie verra une large victoire du parti Démocrate d’Adnan Menderes, un homme séculaire mais conscient des réalités. Ainsi, exténués par les années à coup de réformes aussi impopulaires qu’incompréhensibles, les turcs se tournent en grande majorité vers un nouveau leader dès que l’occasion leur sera donné.

Ce changement se fera en 1950, Adnan Menderes entreprendra alors des réformes où, cette fois, les sensibilités des turcs seront respectées. Des symboles forts comme l’appel à la prière en turc en vigueur depuis 1932 retrouvera sa forme originale, les énormes médaillons islamiques décrochés lors de la restauration de Ayasofya (1930-1934) seront remis en place.

Ce dernier ira jusqu’à demander l’autorisation de rapatriement de la famille Impériale Ottomane exilée et dispersée de force aux quatre coins du monde par le nouveau régime kémaliste, chose qui ne sera accordée officiellement qu’en 1974.

Mais s’il fallait citer un seul homme galvaniseur pour la réouverture au culte d’Ayasofya, c’est sans conteste l’écrivain, poète et penseur de renommée Kisakürek. Issu de milieu séculaire, Ahmet Necip Fazil Kisakürek, n’avait pas vocation à devenir un le porte étendard de la pensée islamique, c’est sa rencontre avec le savant musulman issu de l’école soufi, Abdülhâkim Arvâsî, qui fera de lui un homme nouveau et symbole de la résurrection islamique turque.

Ainsi dans son manifeste à l’adresse de la jeunesse en 1965, Kisakürek finit par ces paroles gravées dans les mémoires :

« Cette inondation inévitable ouvrira (à nouveau) Ayasofya…

 Attendez jeunesse !…

Qu’il pleuve encore plus de miséricorde …

L’inondation est proche »

D’autres comme Necmettin Erbakan, Premier Ministre de 1996 à 1997, feront entendre leur voix, mais ce dernier manquait du soutien populaire et ne pouvait aller à l’encontre d’une opposition farouche des milieux laïcs et de l’autorité du corps militaire.

Dans la lignée de tous les hommes cités plus haut, c’est donc le Président actuel Erdogan, fort d’un soutien populaire et après avoir affaibli l’influence de l’armée sur le civil, qui choisira le moment opportun pour rouvrir Ayasofya au culte en juillet 2020.

Une réciprocité inexistante et pourtant …

S’en suit alors un déchaînement de protestation, non pas des milieux laïcs turcs plus réservés par calculs électoralistes, mais des occidentaux. Pourtant l’exemplarité du respect des lieux de culte sur son sol, quels qu’ils soient, et la retenue observée par Türkiye pour les changements opérés sur les édifices que l’empire avait bâti hors de Türkiye actuel, n’a de réciprocité, notamment en Grèce où les mosquées seront transformées en dépotoir ou cabaret quand elles ne seront pas simplement démolies.  

Les arguments pour justifier ces protestations s’appuient essentiellement sur les déclarations d’universalisme de Mustafa Kemal Atatürk.

Dans ce cas, au nom de l’exemplarité et de l’universalisme, est-il envisageable de convertir Notre Dame de Paris en profitant des travaux en cours, en musée une fois achevés ?

Et comment réagiraient les fidèles catholiques pourtant en nombre infime comparé aux fidèles musulmans turcs ?

Un autre exemple, et pas des moindres, n’est-ce pas la conversion de la Grande mosquée de Cordoue en cathédrale ? Qui là, contrairement à Ayasofya, des transformations majeures seront opérées pour un résultat sans queue ni tête.

2022, année de tous les records

C’est donc dans ce contexte houleux, où tout a été mis en œuvre pour délégitimiser la réouverture d’Ayasofya au culte, allant jusqu’à propager des fakes news selon lesquels l’ancienne basilique serait en proie au vandalisme, que les chiffres sont tombés. Et le compteur vient d’exploser, en effet selon le Ministère de la Culture et du Tourisme, la mosquée Ayasofya a vu sa fréquentation plus que tripler.

Faisant abstraction de la période pandémique de 2020 et 2021, elle est passé de 3,7 millions en 2019 (déjà un record) à 13,6 millions pour 2022. Bien que non proportionnels à la fréquentation d’Ayasofya, ces chiffres confirment l’attractivité touristique croissant de Türkiye où là encore le nombre de visiteurs étrangers est passé de 45 millions en 2019 (déjà un record) à 51,5 millions pour 2022, faisant de Türkiye la 3ème destination la plus visitée au monde.

Un succès dû au hasard ?

Bien que le secteur du tourisme soit depuis les années 70 une des principales sources de revenus pour Türkiye, il connaît ses dernières années un soutien de l’État sans précédent. Au tourisme traditionnel en provenance des pays riches occidentaux et des expatriés turcs, s’ajoute un tourisme que nous pouvons qualifier de luxe comme les pays du golfe. Mais aussi un tourisme moins fortuné provenant des pays africains, du Moyen orient et de Russie.

 Le facteur Erdogan qui jouit d’un capital sympathie non négligeable, ainsi que l’image d’une fierté retrouvée véhiculée dans ces mêmes pays à travers les séries turques sont très certainement l’une des clés de ce succès. Mais l’image ne pouvant à elle seule garantir la pérennité du secteur touristique, il fallait d’avantage d’atouts. Outre ses richesses gastronomiques, culturelles et historiques bien connues, d’autres valeurs ajoutées viennent à présent compléter le tableau. 

Ses nouveaux atouts sont :

  • L’agence TGA, rattachée au Ministère de la Culture et du Tourisme, assure la promotion de Türkiye à l’étranger. 
  • Un partenariat avec la compagnie aérienne Türk Hava Yollari (Turkish Airlines) qui augmentent sans cesse le nombre de ses destinations.
  • La construction d’un nouvel aéroport à Istanbul avec 3 pistes en simultané (6 en 2028) ce qui en fait le plus grand du monde en termes de capacité. En octobre 2022, le nombre de passager ayant transité s’élève 164 millions.
Le nouvel aéroport d’Istanbul
  • Une sécurité renforcée, visible dès votre arrivée à l’aéroport avec les multiples points de contrôle faisant parfois perdre patience. Ces points de contrôle (portiques au rayon X) sont omniprésents dans les lieux touristiques : musées, bazars ou autres centres d’intérêt.
  • La construction d’infrastructures pour faciliter la mobilité, outre les routes et ponts construits en temps records depuis 20 ans, le nombre des aéroports est passé à 59 dont 37 recevant des vols internationaux.
  • Le tourisme médical et esthétique : Türkiye est devenue La destination préférée pour l’implant de cheveux mais compte aussi des centaines de cliniques privées basées sur la chirurgie plastique et soins dentaires. Ce tourisme est visible dans les rues des grandes villes, notamment à Istanbul, où les promeneurs, au féminin et masculin, aux bandages sur la tête ou le pansement sur le nez fait désormais partie du paysage.

Par conséquent, malgré ses détracteurs, rien ne semble arrêter le tourisme turc : « Have a nice trip in Türkiye » …

MG