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La France dérive-t-elle avec ses lois antiterroristes ?

Le mois dernier, une experte de des Nation Unies a estimé que les nouvelles lois antiterroristes risquaient de porter atteinte aux droits et libertés fondamentaux, dans un rapport remis au gouvernement français. La rapporteuse spéciale des Nations Unies, de la promotion et de la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste, Fionnuala Ni Aolain, a fait part de ses préoccupations dans son rapport publié sur le site internet du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH).

Tout en saluant l’effort de la France dans la lutte contre le terrorisme, l’experte des Nations Unies a exprimé « sa préoccupation quant à l’impact des lois antiterroristes sur l’exercice des droits de l’homme fondamentaux tels que le droit à la liberté, au respect de la vie privée et à la liberté d’association, de mouvement et de religion ».

Selon la rapporteuse, l’état d’urgence, qui a pris fin en novembre 2017, a été suivi « de facto par un état d’urgence qualifié dans le droit commun français » avec la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme.

Dans le viseur de l’experte, le recours aux notes blanches des services de renseignement pour justifier devant les juges des mesures de restriction des libertés, la fermeture d’un lieu de culte, une perquisition administrative ou l’assignation à résidence sont particulièrement critiqués. En effet, cette dernière juge « inacceptable le renversement de la charge de la preuve qui entrave à la présomption d’innocence, et affaiblissent les droits de la défense ».

Mme Fionnuala Ní Aoláin, s’est dite particulièrement préoccupée du fait que « ces lois puissent porter atteinte, de manière disproportionnée, stigmatiser et marginaliser davantage les citoyens de confession musulmane ».

« Il apparaît clairement que la communauté musulmane française est celle qui a été principalement visée par des mesures d’exception aussi bien pendant l’état d’urgence qu’à l’heure actuelle dans le cadre de la nouvelle loi, assortie d’autres mesures antiterroristes », a regretté, l’experte, craignant que « la minorité musulmane soit perçue en soi comme un ‘’groupe suspect’’ du fait de l’application étendue et prolongée des lois antiterroristes », a-t-elle ajouté.

D’ailleurs, la rapporteuse n’a pas hésité à donner des exemples de dérives de ces lois antiterroristes notamment celle entrée en vigueur en novembre 2014 adoptée afin de punir ‘’l’apologie du terrorisme’’.

Chiffres à l’appui, l’experte des Nations Unies craint « des dérapages en matière de respect du principe de la liberté d’expression ». Ainsi, 20 % des personnes poursuivies de ce chef d’accusation seraient des mineurs et 6 % ont moins de 14 ans, d’après le même rapport.

Suite à ses constats, la rapporteuse qui déplore « l’insuffisance de contre-pouvoirs », a fait des recommandations au gouvernement français. En effet cette dernière plaide pour «  la création d’un organe indépendant pour superviser la lutte contre le terrorisme et les pouvoirs exceptionnels relatifs à la sécurité intérieure ».

Mme Ní Aoláin a suggéré à la France « d’appuyer les mesures antiterroristes sur le droit international ».

« Il ne fait aucun doute que l’État ait le droit d’adopter légalement des restrictions visant à protéger l’ordre public, mais leur caractère exceptionnel est clairement remis en cause lorsque des mesures antiterroristes entrainent des conséquences profondes, durables et potentiellement disproportionnées pour l’exercice des droits humains fondamentaux et des libertés civiques », prévient-elle.

La justice condamne les dérives de l’Etat d’urgence

Par ailleurs, hasard du calendrier, le même jour, Maitre Sefen Guez-Guez, a rendu public, sur son compte twitter, la condamnation de l’État français pour « la perquisition abusive en novembre 2015, d’un restaurant Halal ».

« La décision du Tribunal administratif prouve que l’islamophobie d’état existe réellement. Lisez la justification de l’administration pour expliquer cette perquisition », a publié l’avocat sur son compte twitter.

« Par décision du 9 mai 2018, le Tribunal administratif de Cergy Pontoise (région Parisienne) reconnait la faute de l’Etat dans l’exécution de l’ordre de perquisition administrative et condamne la Préfecture à reverser au Pepper Grill la somme de 10000 € au titre du préjudice moral et de l’atteinte à la réputation consécutive à la perquisition indique l’ayant visé », indique le communiqué de presse de la société en question, diffusé lui aussi sur le compte de twitter de l’avocat.

« Pour rappel, ce restaurant avait subi une perquisition administrative en novembre 2015 en plein service et en présence d’une quarantaine de clients ; tous choqués par le déploiement de policiers particulièrement massif et excessif », fait savoir le même communiqué.

« Cette condamnation démontre encore une fois que ces mesures d’exception, outre leur caractère peu efficace, ont un coût évident pour la collectivité qui doit nous interroger. La lutte contre le terrorisme ne peut pas se faire par des mesures d’affichage politique inefficaces et destructeurs », précise le communiqué. 

« Cette décision de justice pourra être utilisée lors de procès traitant d’affaires similaires. Mon client et moi-même sommes satisfaits de cette décision qui reconnait pleinement la faute de l’Etat dans la réalisation de cette perquisition injuste et inutile », ajoute Sefen Guez-Guez, lors de la même interview.

Comme le rappelle le site Al-Kanz, le 21 novembre 2015, une quarantaine de « policiers très lourdement armés, casqués avec des fusils à pompe » avaient investi l’établissement de la ville de Saint-Ouen-l’Aumône, située en région parisienne.

Fatih KARAKAYA