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La disparition du pluralisme dans les médias met en danger la démocratie française

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Dans les démocraties, le pluralisme mais surtout la liberté des médias sont considérés comme des facteurs primordiaux, voire vitaux, touchant à l’essence même de l’esprit démocratique.

Le pouvoir, avec toutes ses formes, ne manque, toutefois, pas de faire pression sur les médias, ou du moins d’essayer d’imposer une certaine vision des choses, directement ou indirectement.

Jean-Baptiste Rivoire en sait quelque chose. Après trois ans d’enquête, ce journaliste d’investigation a publié en janvier 2022 un livre qui démontre « comment ministres et grands patrons font pression sur les médias ».

a fait ses premières preuves dans l’émission « 90 minutes » sur Canal+ de 1999 et 2006. Par la suite, il devient rédacteur en chef de « Spécial Investigation » sur la même chaîne jusqu’en 2021.

Entre-temps, en 2015, les choses commencent à changer à Canal + réputée comme une chaîne indépendante où l’émission « Les Guignols de l’info » faisait un grand tabac auprès du public. Cette émission de télévision satirique de marionnettes, qui a commencé à être diffusée le 29 août 1988 est une parodie de journal télévisé et une caricature du monde politique, des médias, des personnalités ou plus généralement de la société française et du monde actuel. Mais l’émission s’arrête brutalement le 22 juin 2018.

Certains médias français diront que c’est Vincent Bolloré, patron de la chaîne, qui a fait pression pour que l’aventure prenne fin, ne supportant plus les critiques de ces « marionnettes » envers les politiques, notamment son ami, Nicolas Sarkozy.

Bolloré et les médias

En juin 2014, l’assemblée générale du groupe Vivendi, maison mère de Canal +, valide l’arrivée de Vincent Bolloré à la tête du conseil de surveillance et devient actionnaire majoritaire. Vivendi est un groupe français spécialisé dans les contenus, les médias et la communication.

Après la maison mère de Canal+, Bolloré prend également le contrôle de la chaîne elle-même et change sa ligne éditoriale.

Selon le journal Le Monde, qui décryptait le 22 juin 2018, la fin des « Guignols« , « depuis la reprise en main de Canal+ par Vincent Bolloré, à l’été 2015, l’émission avait perdu de sa superbe ».

En plus d’être « indigestes, convenus, Les Guignols ne font plus rire », estime le journal qui explique que c’est Vincent Bolloré lui-même qui avait imposé un nouveau concept. Ainsi, « en deux ans, les audiences ont été divisées par vingt et son budget a été divisé par cinq, passant de 15 millions par saison à la belle époque à 3 millions ».

Mais comme l’explique Jean-Baptiste Rivoire dans son livre, Bolloré tente de censurer plusieurs enquêtes de « Spécial Investigations » et pas seulement « Les Guignols de l’info ».

En novembre 2021, selon les médias français, le dernier incident en date avec Bolloré, pousse le journaliste à claquer la porte de Canal +. En effet, après la diffusion du documentaire « Le Système B », une enquête de Reporters Sans Frontières (RSF) qui « rappelle la censure d’enquête du magazine « Spécial Investigation » sur Canal+, codirigé par Jean-Baptiste Rivoire, mais aussi des procédures visant aussi d’autres médias, par un usage massif des poursuites judiciaires, afin de décourager au maximum les enquêtes sur « les activités africaines du groupe Bolloré », Rivoire démissionne de Canal + ».

« L’Élysée (et les oligarques) contre l’info »

Après avoir acquis son indépendance, Jean-Baptiste Rivoire s’attaque cette fois directement à Macron en publiant le livre d’enquête “L’Élysée (et les oligarques) contre l’info”. Dans ce livre, il raconte « comment le pouvoir politique et économique tente régulièrement de bâillonner l’info ».

Ainsi, par exemple, David Perrotin, journaliste chez Médiapart, publie un extrait de ce livre sur son compte Twitter : « Cédant aux pressions du gouvernement, les producteurs de l’émission Quotidien ont censuré une enquête de Valentine Oberti, qui révélait que l’Exécutif savait que les armes vendues à l’Arabie saoudite étaient utilisées contre des civils au Yémen ».

Cette pression sur les médias est décriée également par les influenceurs musulmans. Dans son édition du 10 janvier, le journal Le Monde affirmait que la plateforme de location Airbnb allait aider le gouvernement à « traquer les locations de villas avec piscines uniquement à des femmes ». Face à l’indignation que cela a suscité sur les réseaux sociaux, le gouvernement et Airbnb ont démenti l’information et Le Monde a dû publier un rectificatif.

Pression sur les journalistes

Mais cette volte-face est décrite comme une preuve de pression contre les journalistes et les citoyens musulmans se demandent comment le journal aurait pu écrire une telle accusation aussi grave sans preuve.

« À mettre en perspective avec les journalistes du Monde qui hier ont dû retirer les déclarations anonymes d’un officiel du gouvernement qui déclarait travailler avec @airbnb_fr pour faire interdire les locations de maisons avec piscine aux musulmanes », écrivait ainsi BMoon_bee, une activiste sur les réseaux sociaux en partageant un article du journal le Monde qui affirmait : « Emmanuel Macron n’hésite pas à demander à son entourage de passer des appels à certains propriétaires de journaux, voire à indiquer quel interlocuteur viser au sein d’un groupe de presse, « si jamais il y a un problème » avec un article ».

Il faut dire que cette pression sur les médias devient possible grâce à la concentration des médias aux mains de quelques industriels. C’est ce que dénonce depuis des années l’Observatoire des Médias (ACRIMED).

Cet observatoire lutte depuis 1996 pour « contester l’ordre médiatique existant, sa concentration, sa financiarisation, la marchandisation de l’information et de la culture, l’anémie du pluralisme et du débat politique, l’emprise des sondages (et des instituts qui en font commerce), les connivences, les complaisances, l’implication des entreprises médiatiques dans la contre-révolution néolibérale… ». Dans ses objectifs, il affirme vouloir « contester également celles et ceux qui dominent et perpétuent un ordre médiatique qui, en l’état, est tout sauf le pilier d’une véritable démocratie ».

OPA sur Europe 1

Il faut dire que les craintes d’ACRIMED n’ont pas tardé à se concrétiser. Depuis, la création de l’observatoire, des centaines de médias libres sont passés sous les griffes des multimilliardaires et selon l’Observatoire, c’est pas encore fini.

ACRIMED explique « qu’après avoir mis la main sur les magazines du groupe Prisma Média (Capital, Voici, Gala…), Vivendi a annoncé qu’il avançait son OPA sur le groupe Lagardère au mois de février 2022, confirmant ainsi sa prise de contrôle sur Europe 1, RFM, Virgin Radio, Le Journal du dimanche et Paris Match ». Au mois de juin 2021, Bolloré avait déjà acquis 27% du groupe Lagardère.

« Il est vrai que l’élection présidentielle approche à grands pas… », s’insurge l’Observatoire qui pointe du doigt « le traitement par CNews de la campagne présidentielle qui a été si caricatural ».

Le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel, avait, d’ailleurs, sommé la chaîne de Bolloré de respecter l’équilibre du temps de parole des différents courants politique français.