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Des acteurs sociaux se mobilisent contre la loi « séparatisme »

Un grand nombre d’acteurs sociaux français incluant des organisations non gouvernementales (ONG), mais également des personnalités publiques telles que des académiciens, journalistes et personnalités religieuses, sont convenus vendredi d’initier un mouvement de coordination afin d’exiger le retrait du « projet de loi contre le séparatisme ».

« Nous avons créé la [Coordination contre la loi séparatisme] qui vise le retrait du projet de loi baptisé « Loi confortant le respect des principes républicains », mais dont le nom ne réussit pas à cacher l’islamophobie d’État », explique un membre fondateur du mouvement.

« Sa création répond à une urgence face à l’offensive engagée contre toute forme de liberté dans les modes de vie et les expressions des musulmans », poursuit-il.

Plusieurs personnalités et ONG qui font partie des signataires de l’acte fondateur de cette coordination et appellent les citoyens « à rejoindre la mobilisation ».

Parmi celles-ci figurent des académiciens et universitaires tels que François Burgat, Amine Brahimi et Hamza Esmili, les journalistes Feïza Ben Mohamed et Sihame Assbague, l’avocat Samim Bolaky, le rabbin Gabriel Hagaï, le président de la Mosquée de Pessac Abdou Rahmane Ridouane, le Lycée Meo High School (MHS) de Paris, des associations telles que le Conseil pour la Justice, l’Égalité et la Paix (COJEP), et l’Union juive française pour la paix (UJFP), ainsi que des partis politiques, à l’instar de l’Union des démocrates musulmans français (UDMF) et du Parti des Indigènes de la République (PIR), mais aussi un grand nombre de militants des droits de l’homme.

Racisme d’État envers les musulmans

Dans son appel, la coordination constate « qu’avec les dissolutions d’associations, arrestations arbitraires, intimidations policières et médiatiques, le gouvernement actuel franchit un nouveau cap dans la violence et le racisme d’État à l’encontre des musulmans de France ».

Interrogée samedi par AA, la journaliste Feïza Ben Mohamed a fait état d’une stigmatisation par l’exécutif français à l’encontre des musulmans :

« La loi contre un prétendu séparatisme jette l’opprobre sur toute une partie de la communauté nationale : les musulmans », a estimé Ben Mohamed, avant de poursuivre par un appel à ses concitoyens à unir leurs forces pour lutter contre la stigmatisation d’une partie de la population française :

« Il est absolument nécessaire que chacun fasse entendre sa voix et porte haut et fort la protestation contre cette stigmatisation inacceptable des musulmans. Le gouvernement fracture de manière irrespirable, la société française, et cette loi liberticide, laissera indéniablement des traces », explique la journaliste française, décrivant ainsi l’objectif de cette initiative rassemblant divers acteurs sociaux :

« La coordination va œuvrer à mobiliser les associations, militants, personnalités et les citoyens pour manifester contre l’islamophobie véhiculée par l’exécutif »

D’après l’acte fondateur du mouvement, la « [loi confortant le respect des principes républicains] vise à renforcer le contrôle sur l’exercice du culte musulman et à bâillonner l’expression musulmane ».

Par ailleurs, les signataires voient dans ce projet de loi du gouvernement français présenté au Conseil des ministres le 9 décembre 2020, « la volonté manifeste de renforcer, par une loi islamophobe de plus, un appareil d’État de plus en plus autoritaire et répressif. »

Selon les signataires de l’acte de coordination, ce projet de loi ainsi que la « charte des imams » (Charte de principes pour un Islam de France), constituent « une énième tentative par l’État français de s’ingérer dans nos affaires, de choisir nos représentants, de surveiller nos pratiques et de contrôler nos opinions ».

« Stigmatiser les musulmans en les accusant de n’être jamais suffisamment [assimilés], conduit en fait à leur nier toute liberté de conscience et d’expression », regrettent encore les signataires.

Mettant en garde que « c’est toute la population qui est concernée », la coordination explique que « dans un contexte de grande précarité sociale et d’inégalités croissantes, cette dérive identitaire et liberticide ne frappe pas que les musulmans et provoque partout davantage de peur, de suspicion, de violences et de détresse. »

Rejet de l’ingérence d’État et mobilisation générale

« Nous rejetons ce projet de loi islamophobe ainsi que toute ingérence de l’État dans l’organisation du culte musulman en France », préviennent encore les signataires.

Contestant également la rhétorique du « musulman, égal ennemi de la République », les signataires insistent sur « leur opposition à la violence d’État et à la mise sous tutelle de toute expression musulmane dans ce pays ».

« Nous appelons dès à présent à une mobilisation générale le dimanche 14 février à 13 heures, sur le Parvis des Droits de l’Homme », déclare à AA un autre signataire, qui souhaite pour l’instant garder l’anonymat. Outre les noms cités, plusieurs autres organisations et personnalités telles qu’Acta Zone, la militante altermondialiste Françoise Clément, le « Collectif Ni Guerre Ni État de Guerre », la Fondation Frantz Fanon, soutiennent également l’initiative.

Le 18 janvier dernier, cinq des neuf fédérations liées au Conseil Français du Culte Musulman (CFCM) avaient signé la « charte des principes pour un Islam de France », consistant à la première étape pour la création d’un Conseil National des Imams.

Mais plusieurs organisations et personnalités musulmanes avaient critiqué cette charte « imposée » par le gouvernement français. Le CFCM avait refusé ces accusations prétendant « qu’elle avait été rédigée avec les fédérations membres ».

Pourtant, la plupart des points présents dans la charte sont repris tels qu’ils sont dans la « loi confortant les principes républicains » qui vise spécifiquement les musulmans.

Le « projet de loi contre le séparatisme »

Depuis le 1e février, est débattu à l’Assemblée nationale française, un projet de loi contre un prétendu « séparatisme », rebaptisé « projet de loi confortant les principes de la République », qui avait été présenté au Conseil des ministres le 9 décembre 2020 après avoir subi de nombreuses évolutions dans la forme et dans le fond, notamment après le discours prononcé par le président français, Emmanuel Macron aux Mureaux, en région parisienne, le 2 octobre 2020, dans lequel il avait exhorté au «réveil républicain» face au «séparatisme islamiste» ; un discours qui avait suscité de nombreuses réactions pour la stigmatisation des musulmans et ainsi mené au changement de nom de ce projet de loi.

Le 18 février 2020, dans le quartier de Bourtzwiller à Mulhouse, dans l’Est de la France, Macron avait déclaré : « On avait dans ce quartier des associations qui prônaient de sortir de la République, de la déscolarisation, des influences extérieures. C’est ce que j’appelle le séparatisme. »

Après une gestion catastrophique de la crise sanitaire et économique de la pandémie du nouveau coronavirus par l’exécutif français, le 26 juillet 2020, la ministre déléguée à la Citoyenneté, Marlène Schiappa avait annoncé que le « projet de loi contre les séparatismes » serait présenté « à la rentrée » et qu’il viserait notamment « l’islam politique ».

Porté par Schiappa et le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, le projet de loi est fortement décrié par de nombreuses ONG françaises et internationales, telles que Human Rights Watch (HRW) et Amnesty International France, notamment pour la violation des libertés de foi et de culte, la liberté d’expression ainsi que la liberté d’opinion.

Plus de 2000 amendements

Les discussions à l’Hémicycle doivent durer une quinzaine de jours, mais suscitent déjà les plus vifs débats. Un grand nombre de députés de la majorité et de l’opposition ont déposé plus de 2000 amendements à ce projet de loi qui vise à renforcer le contrôle de l’État sur les associations, notamment cultuelles, ainsi qu’à faciliter les procédures de dissolution.

À travers cette loi, il est également prévu de pouvoir imputer à une association, la responsabilité des faits et actes de l’un de ses membres, autorisant ainsi le gouvernement à dissoudre l’association.

La future loi permettrait également aux autorités de surveiller de façon plus intense les activités des associations cultuelles et des lieux de culte en les soumettant à de nouvelles obligations.

La Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH) a émis jeudi, un avis très critique sur le projet de loi, « alert[ant] les parlementaires sur un texte qui risque de fragiliser les principes républicains au lieu de les conforter. »