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Lettre Ouverte à Emmanuel Macron par un musulman Suisse

macron lettre d'un musulman

Le discours du Président Emmanuel Macron du 2 octobre 2020 a provoqué une tempête politique internationale. Dans le sillage de cette tempête, de nombreuses violences ont éclaté, celles qualifiées de terrorisme islamiste se retrouvent sous les projecteurs médiatiques alors que celles islamophobes demeurent à l’ombre des faits divers.

IMHOF David a adressé une lettre ouverte le 28 octobre au Président français qui dénonce son projet de loi sur la laïcité et contre les séparatismes islamiques et estime qu’il oppose très clairement les valeurs républicaines aux principes fondamentaux de la démocratie. Il espère ainsi que cette lettre puisse encourager les réflexions d’une défense intellectuelle musulmane.  

Dans cette lettre pertinente, positive et constructive dans l’intérêt général Medyaturk Info tient à la publier et la diffuser afin d’apporter le point de vus des musulmans notamment au-delà de nos frontières.

Monsieur le Président de la République française,

Je suis un citoyen franco-suisse de confession musulmane inquiet du choc des civilisations du fait de m’être retrouvé victime, avec mes enfants, de ce conflit en droit international privé. Ayant fait le choix de défendre mes convictions avec détermination par la raison plutôt que la violence, celle-là même qui s’emploie à faire taire la raison, je m’efforce d’apporter une réflexion constructive dans l’espoir de léguer un monde meilleur pour tous.

Dans cette perspective, j’avais adressé, en 2012, un courrier au Président Hollande ayant bénéficié d’un accusé de réception à la référence PDR/SCP/CDO/AIE/A014366. Un courrier vous fut également adressé le 8 juillet 2017 pour promouvoir l’idée-force d’un débat de fond philosophique, moral et juridique sur le rapport de l’islam avec la France et l’Europe. Cette démarche a abouti à une fin de non-recevoir.

Depuis lors, il s’avère que la très modeste Ligue musulmane genevoise pour la paix confessionnelle, que je représente, s’est constituée partie en procédure judiciaire contre l’importation genevoise de votre idéologisation de la laïcité. J’ai donc été très attentif à votre discours du 2 octobre dernier annonçant votre projet de loi dite « laïcité et libertés », lequel sera symboliquement déposé le 9 décembre 2020 en conseil des ministres pour renverser la loi du 9 décembre 1905.

La présente démarche se revendique en tant que plaidoyer réquisitoire qui s’articule sur trois volets avec leurs conclusions. Le premier volet commence par un plaidoyer musulman en faveur du sécularisme qui offre les bases juridiques internationales permettant la construction d’une paix confessionnelle universelle. Le second volet porte sur un réquisitoire mettant en accusation votre idéologisation de la laïcité en instrument de domination qui exacerbe le conflit de civilisations. Le troisième volet termine sur un retour au plaidoyer en faveur d’un ordre international juste et pacifique en tant que préalable indispensable à la mise en œuvre d’une « diplomatie climatique » multilatérale salutaire pour dissiper le spectre de plus en plus inquiétant d’une destruction mutuelle de l’humanité.

1. Plaidoyer musulman en faveur du sécularisme       

Pour débuter ce plaidoyer en faveur du sécularisme protecteur des éléments constitutifs des identités religieuses, y compris celle musulmane, il convient de revenir sur le rapport entre l’esprit des Lumières et l’islam auquel votre discours a fait allusion. La révolution américaine a fait naître le contrat social républicain moderne avec une séparation entre l’Eglise et l’Etat pour protéger une liberté de conscience individuelle des contraintes religieuses exercées par l’entremise de la force étatique.

Le mur de Séparation de Jefferson a ainsi garanti le pluralisme religieux selon le principe, dit séculariste, consistant à empêcher l’Etat d’exclure un individu de ses droits citoyens au motif de ses convictions ou de son identité religieuse. En conflit avec le Pape, la révolution française a, pour sa part, conduit son contrat social républicain dans le sens d’une nouvelle ère affirmée universelle sur la proclamation des Droits de l’homme et un calendrier ayant aboli les références religieuses.

Si la révolution islamique de 623 et la révolution française de 1789 sont différentes, elles ont toutes deux réalisé un projet politique consistant à remplacer un système arbitraire et inique par un Etat de droit. Comme celle française, la révolution islamique a connu diverses étapes dont la première, qui fait foi, fut conduite par le Prophète Muhammad non pas en tant que roi mais dans le rôle de « médiateur » politique. La pierre angulaire de cette étape fondatrice n’est pas le Coran mais le Pacte de Médine qui a institué un véritable contrat social sur une égalité citoyenne en lequel les musulmans formaient un parti minoritaire en interaction avec les polythéistes et les Juifs.

Si le Coran s’adresse à l’humanité pour prévenir du Jugement dernier après la mort, ses injonctions cultuelles ou morales ne s’adressent qu’aux musulmans qui le sont non sous la contrainte mais par leur seul consentement. Même après que le rapport de force ait basculé en faveur des musulmans, les autres religions ont bénéficié d’une autonomie politico-judiciaire protectrice des éléments constitutifs de leur identité respective, y compris celles polythéistes pourtant ouvertement décriées de superstition. C’est d’ailleurs cette égalité citoyenne distincte du communautarisme religieux qui permit à Muawiya de capter, avec l’aide des chrétiens arabes, le pouvoir califal à Damas en instituant un système dynastique calqué sur le modèle impérial chrétien. C’est quelques décennies plus tard que le statut de « dhimmi » s’est greffé sur la taxe dite « Djizîa » – qui se présente comme une contrepartie fiscale à la « zakat » – pour rompre avec le principe de l’égalité citoyenne en basculant sur un système politique de discrimination religieuse fluctuant selon les humeurs des dirigeants.

Certes, il est exact que l’abolition du califat ottoman marque une crise profonde du monde musulman, laquelle n’aide pas à discerner les postulats sur lesquels divergent traditionnalistes, imams fonctionnaires, intellectuels, fanatiques ou islamophobes déguisés en musulmans progressistes.

Il est cocasse de constater qu’en Egypte, Napoléon avait non seulement rétablit des droits politiques confisqués sous le joug obscurantiste de la junte des mamelouks, mais ses consultations avec les juristes d’Al-Azhar sur la charia ont grandement inspiré la rédaction du Code civil français.

Bien plus tard, les premiers slogans politiques des frères musulmans exprimaient une certaine confusion entre Coran et constitution. Alors que l’intellectuel algérien Malek Bennabi avait excellemment explicité le rapport complémentaire du contrat social islamique avec la démocratie sur l’équilibre complexe entre devoirs religieux communautaires et droits politiques universels (https://oumma.com/islam-et-democratie-12/), un courant réactionnaire du Front Islamique du Salut qualifiait la démocratie de « koufr » (hérésie) dans le même embrouillement entre souveraineté politique et religieuse lors des élections libres de 1991.

Si l’épouvantail de DAESH a conforté le fantasme occidental que l’islam politique se résume à instaurer un Etat théocratique totalitaire qui impose à tous une souveraineté religieuse rigide sous peine de cruels châtiments, force est d’admettre que cette entité n’est pas le seul facteur en cause. Sur une classique dérive idéologique, on voit le dogmatisme entrainer la charia sur de malheureuses confusions entre morale religieuse et tyrannie ou encore entre piété et arrogance. Pourtant, le Coran précise « si tu étais rude, au cœur dur, ils se seraient enfuis de ton entourage (Sourate 3, verste 159).

L’exemplarité éclairante du Prophète et des premiers califes démontre qu’il ne s’agit que d’un fantasme alimenté par une stratégie de diabolisation de l’islam corrélée à l’obscurantisme au cœur même de musulmans dénués d’esprit critique qui deviennent le terreau des fanatismes les plus dangereux. L’orgueil arabe souffre de reconnaitre que la grandeur civilisationnelle des dynasties omeyyades et abbasides ait pu illuminer toutes les sciences à l’exception de celles politiques et que cela n’est pas sans rapport avec le chaos dans lequel se trouve le monde arabe actuel.

La nostalgie de cette grandeur arabe occulte les fondements même de la révolution prophétique. Jamais le Coran n’a eu de rôle constitutionnel, tenu par le Pacte de Médine – qui n’est pas l’émanation d’un impératif révélé mais bien d’une volonté sociale de type démocratique –, ni même institué un régime politique particulier contrairement à ce que des traditions tendent à soutenir.

Il est vrai que les traditions, manipulées par des dominations politiques, favorisent le carcan d’un conformisme abrutissant opposant la loyauté du sentiment d’appartenance à l’esprit critique. Pourtant, la solution des problèmes sociaux, tant politique qu’économique, ne réside pas dans l’attente d’un leader providentiel à la moralité irréprochable mais dans la responsabilité collective de l’effort intellectuel pour déterminer l’option la plus juste, équitable et efficace. C’est ce à quoi le Coran convie les musulmans.

Pour revenir à la France, la loi du 9 décembre 1905 adoptée par la IIIème République avait tranché entre quatre différents modèles de laïcité avec des dérogations encore en vigueur. La révolution bolchévik avait adopté la laïcité en idéologie pour ériger un athéisme d’Etat contre lequel la France et l’Occident opposèrent fermement la liberté de conscience du modèle de Jefferson.

Après l’effondrement de l’Union soviétique, la laïcité française réactualise la rivalité idéologique entre l’Etat et la religion. C’est un retour à l’absolutisme politique par lequel la citoyenneté est détournée des droits individuels pour se retrouver corrélée à l’allégeance envers les forces politiques au pouvoir. Le conflit entre la Ière République et le Pape portait, en son temps, sur le pouvoir politique d’une monarchie française qui ne concernait en rien l’islam. Si le christianisme et l’islam proclament la suprématie de la souveraineté de Dieu au Jugement dernier sur toute l’humanité, le Coran reconnait la souveraineté temporelle d’un pays non-musulman (sourate 3, verset 26) et le droit islamique classique, dit charia, a résolu la problématique du conflit de lois en attribuant la primauté au droit territorial d’un pays comme la France dans la mesure que ce droit garantisse les éléments constitutifs de l’identité musulmane et l’exercice du culte.

Or le principe du sécularisme fondé sur l’idée que l’Etat n’a pas à exercer de contrainte – obligation ou interdiction – en matière cultuelle converge avec le verset coranique « nulle contrainte en la religion », ce qui établit des bases juridiques civilisationnelles solides pour ériger une paix confessionnelle universelle. 

2. Réquisitoire mettant en accusation votre idéologisation de la laïcité

Vous avez débuté votre discours du 2 octobre sur l’affirmation que la laïcité n’est en aucun cas l’effacement du religieux de l’espace public, citant l’abbé Grégoire siégeant en soutane dans les institutions de la Ière République. Vous avez aussi assuré que les extrémistes, qui veulent en découdre, ne vous ont pas entrainé dans le piège de l’amalgame pour stigmatiser tous les musulmans, votre projet ne ciblant que l’idéologie islamiste radical, ou de l’islam politique, décrétant que « ses lois propres sont supérieures à celles de la République et dont l’ambition est le contrôle totalitaire sur une stratégie séparatiste dans un premier temps ».

De toute évidence et en dépit de vos dénégations, votre projet de loi inflige aux musulmans une variante de la Constitution civile du clergé de 1790 qui avait entrainé le massacre, la déportation et l’exile des membres du clergé réfractaire refusant de prêter le serment de loyauté envers une République alors concrètement menacée par le Pape.

Il y a pourtant des différences essentielles entre la situation de la Ière République en 1790 et celle de la Vème de 2020. La confession sunnite que vous ciblez ne connait pas de clergé, contrairement à l’Eglise catholique, et il en résulte qu’il n’existe pas de voix représentative ou officielle qui appelle au renversement de votre République. Lorsque vous citez les dérives radicales d’une idéologie « gangrenée par une aspiration à un djihad réinventé qui est la destruction de l’autre », on comprend intuitivement que vous faites référence au phénomène déconcertant de la synergie destructrice entre les appels au terrorisme de l’entité DAESH et les réponses aux confins de la psychiatrie d’enfants de la République en perte de repère.

Comme tout le monde, je suis rempli d’effroi et d’indignation par la sauvagerie d’attentats aveugles, ma propre fille se trouvait d’ailleurs sur la promenade des Anglais à Nice une semaine avant l’horrible carnage du 14 juillet 2016. Toutefois, l’appel à la destruction de l’Occident par DAESH, combien même illustré par de répugnantes démonstrations d’horreur sur le sol français, ne représente de toute évidence pas une véritable menace existentielle pour la République française justifiant les mesures radicales similaires à celles antipapistes prises en 1790.

La seule annonce de votre projet de loi a provoqué une cascade de réactions immédiates qui laisse présager le pire pour son application. La raison première est qu’en dépit de l’assurance de votre discernement, ce projet de loi engage la France dans une lutte sans concession contre un séparatisme assimilé à la simple pratique religieuse musulmane.

Vous déclarez contraire à l’ordre public républicain l’aménagement de lieux de prière, la proposition de menus confessionnels à la cantine – on a même vu votre ministre en charge des cultes, Gérald Darmanin, incriminer les rayons de supermarché réservés aux produits halal et casher – ou l’organisation de créneaux horaires de piscine en faveur d’associations unisexes.

À la question d’un journaliste du Figaro demandant si vous voyez le voile, qui divise votre gouvernement, comme un outil de prosélytisme politique, une expression de séparatisme/ communautarisme ou une pratique religieuse qui n’est pas l’affaire de la République, votre réponse « les trois à la fois » illustre parfaitement l’ambigüité malsaine d’un double discours affirmant des vérités et leurs contraires.

Vous déclarez tolérable le port du voile en tant que pratique « culturelle » mais intolérable celui en référence à une « conviction ». Mais où donc situez-vous la foi musulmane entre culture et conviction ?

Affirmer la liberté de religion et du culte tout en diabolisant et en incriminant l’exercice d’une religion avec son culte est un mépris envers l’honnêteté intellectuelle. Idem avec l’amalgame entre le concept de la « neutralité » de l’Etat – notion très suisse – et celui de « neutraliser » sur ce qui oppose très précisément l’indifférence du sécularisme à l’intolérance de la laïcité.

Vous rejetez opportunément la faute de votre ambigüité sur les « séparatistes islamistes », que l’on n’arrive plus à identifier, parce qu’ils entrainent la pratique musulmane dans son ensemble sur une identité que les Français, victimes d’une « insécurité culturelle », ne reconnaissent pas.

Mais mettre ainsi à l’index la simple pratique religieuse musulmane, telle que l’obligation de prière, la restriction alimentaire ou l’expression de pudeur en « repli identitaire/communautarisme/séparatisme» a manifestement l’effet de conforter et légitimer ce sentiment d’insécurité culturelle de la majorité que vous affirmez dans la négation de l’insécurité culturelle de la minorité musulmane composée de plusieurs millions de français. Cette volonté d’associer la pratique religieuse musulmane au spectre d’un totalitarisme menaçant la République vous affiche comme le Président d’une majorité plutôt que celui de tous les Français.

Le raisonnement et l’action de votre « réveil républicain », avec ses cinq grands axes qui semblent venir s’opposer aux cinq piliers de l’islam, prend le ton d’une rupture à la fois avec les musulmans et la démocratie dans son principe fondamental de protection des libertés et des minorités.

En démocratie, le droit se distingue des valeurs pour donner à chaque citoyen le pouvoir de critiquer – non injurier – publiquement toute loi ou toute valeur sans être inquiété par l’Etat.

Le débat démocratique est la conjugaison des libertés de conscience, de croyance, d’expression, d’opinion et d’association pour permettre, d’une part, que la controverse éclaire au mieux le peuple souverain sur les conséquences de ses choix de société, et d’autre part, qu’une fois ces choix faits, le devoir légal de les respecter par tous ne dispense pas les minorités de pouvoir critiquer les décisions de la majorité. Car ce droit de critiquer les choix d’une majorité faillible et perpétuellement fluctuante est ce qui différencie la démocratie de la dictature de la majorité.

Vous invoquez la nécessité de changer les paradigmes sur une érosion classique des libertés au nom de la sécurité à droite ou de l’égalité à gauche. En obstruant aux musulmans les autorisations d’ouvrir des écoles privées attribuées sans problèmes aux catholiques ou aux Juifs, voilà que tout en affirmant ne pas remettre en cause la liberté d’enseignement, vous la révoquez en qualifiant l’instruction à domicile ainsi que les écoles musulmanes dites hors-contrat « d’angle mort » de l’emprise républicaine.

À la manière soviétique, les valeurs que vous entendez inculquer à l’école ne visent point à former des citoyens libres et rationnels pour pouvoir choisir leur vie, mais bien des fidèles de l’Etat en lieu et place d’une religion.

Pour preuve, vous annoncez sur un autre axe que votre loi va drastiquement restreindre la liberté d’association des citoyens musulmans en imposant des chartes de censure idéologique, dite de laïcité, qui est par ailleurs l’objet d’un recours pendant à Genève, tout en étendant le pouvoir de dissolution sur des motifs subjectifs et arbitraires.

Il y a pire, vous avancez un dispositif anti-putsch destiné à prévenir les « prises de contrôle hostiles qui existent au niveau des mosquées pour changer les dirigeants de l’association cultuelle ». Par quel verrouillage juridique allez-vous pouvoir changer le paradigme du pouvoir suprême de la majorité dans le champ associatif  que vous qualifiez de pilier du pacte républicain ? Vous annoncez encore qu’une fois la loi en force, le préfet pourra suspendre les actes municipaux pris par des élus. Mais vous inversez complètement le fonctionnement démocratique !

Quel élu pourrait bien produire un acte municipal en lien avec des activités terroristes ? La menace du « séparatisme islamiste » apparaît devenir le prétexte de votre République pour justifier l’adoption de mesures totalitaires qu’elle prétend déjouer.

En abandonnant le principe de l’égalité de traitement entre des pratiques religieuses communes aux trois religions monothéistes, vous dénoncez celles de l’islam comme offense pour la République. Vous justifiez les changements de paradigme annoncés en accusant les musulmans d’aujourd’hui, hier c’était les Juifs, d’utiliser les faiblesses des règles de l’Etat de droit.

C’est l’argument typique servant à revendiquer des mesures toujours plus discriminatoires, au nom de valeurs identitaires pour le fascisme ou idéologiques pour le stalinisme. Pourtant, dès lors que l’Etat de droit se fonde sur le postulat démocratique attribuant une protection juridique à chaque citoyen pour lui permettre de se forger une libre opinion par le débat sur un pouvoir décisionnaire majoritaire en ce qui est associatif ou public, ces « faiblesses » des lois ne sont plus que l’expression d’un sentiment intolérant et vindicatif abusant de tous les artifices pour intellectualiser un exutoire sémantique, juridique et politique dans le but de justifier une répression arbitraire.

C’est ainsi que vous glissez du mot « communautariste », qui fonde le système politique suisse ou européen, à celui de « séparatiste », ayant occupé en France les Corses ou les Basques, pour en fin de compte désigner de manière voilée l’identité musulmane. Comme Monsieur Jean-Luc Mélenchon l’a pertinemment relevé, votre projet de loi ne vise plus des actes objectivement répréhensibles et compris par tous mais à fracturer la société française.

Alors que le sécularisme représente un arbitrage authentiquement neutre entre les libertés de conscience et de religion, vous immiscez la laïcité en idéologie concurrente pour étendre artificiellement l’arbitrage politique dans la sphère publique sur une distinction utopique entre conviction religieuse et conviction politique. Que signifie vouloir empêcher les gens de vivre « séparés » de la République face aux couvents chrétiens, aux monastères bouddhistes, aux kibboutz et toute association religieuse ou politique qui revendique des valeurs alternatives à celles de votre République ?

À l’instar de la contestation des gilets jaunes – comprenant le désespoir de gens que vous désigniez, lors votre discours du 30 juin 2017, comme ceux « qui ne sont rien », vous avez d’ores et déjà placé celle islamique à la pointe de la répression. En avril 2018, l’eurodéputé écologiste belge Philippe Lamberts dénonçait l’action de vos forces de l’ordre qui « écrasent dans la violence les projets de celles et ceux qui inventent depuis des années une autre manière de vivre« . Il vous avait offert une corde pour illustrer l’oubli de ceux « qui ne sont rien » par ceux que vous désignez comme les « premiers de cordée ».

En Suisse, on voit un élu de la droite dure, Yves Nidegger, jeter le slogan « Climat Akbar » sur les activistes pour le climat dans la démonstration de la tendance politique à amalgamer toute idéologie contestataire.

Votre idéologisation de la laïcité, reprise à Genève et au Québec, est une boite de Pandore qui nous rappelle la célèbre citation du pasteur Martin Niemöller : Quand les nazis sont venus chercher les communistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas communiste. Quand ils ont enfermé les sociaux-démocrates, je n’ai rien dit, je n’étais pas social-démocrate. Quand ils sont venus chercher les syndicalistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas syndicaliste. Quand ils sont venus me chercher, il ne restait plus personne pour protester.

À l’inverse de vos prédécesseurs de la Vème République, vous êtes le Président qui a formé son parti, symptôme d’un grave délabrement de la social-démocratie. Or au lieu de chercher à raffermir cette social-démocratie en déclin, vous appuyez les dysfonctionnements des institutions représentatives.

En novembre 2017, les « cent démocrates » avaient claqué la porte de votre parti à cause de l’absence de consultation sur le culte de votre personnalité. Lors de votre cafouillage au sujet de l’aide exceptionnelle contre la précarité des jeunes ce mois-ci, la présidente de l’Union nationale des étudiants de France, Mélanie Luce, a dénoncé vos annonces sur les jeunes sans jamais consulter leurs organisations. L’auteur du Manuel d’autodéfense intellectuelle, Sophie Mazet, a dénoncé le mépris de votre gouvernement qui annonce par voix de presse ses consignes au corps enseignement pour amener les étudiants à rendre un hommage à Samuel Paty dans l’affirmation de valeurs républicaines sans esprit d’écoute ou de dialogue.

Encore et toujours, vous inversez le processus de consultation avec des annonces en amont d’une réflexion de fond qui doit précéder vos projets et non leur succéder si elle ne revêtait pas un rôle d’alibi démocratique. Comment voulez-vous ouvrir un débat sincère avec les musulmans intellectuels et engagés sur une réflexion constructive du contrat social, alors que vous posez d’emblée un conflit de loyauté entre citoyenneté et foi musulmane ?

Quel crédit accorder à votre invitation d’aider les musulmans de France à se structurer pour être un « partenaire » de la République, quand vous diabolisez et incriminez les piliers de la pratique de cette religion comme la prière, l’interdit alimentaire ou la pudeur ?

Quel crédit lui accorder quand vous méprisez les démarches adressées dans ce sens à l’exemple de ma missive du 8 juillet 2017 ?

Quel crédit lui accorder quand on constate que non seulement votre projet de loi oppose la laïcité au sécularisme mais que son idéologisation détourne les valeurs républicaines de la démocratie ?

Derrière des formules d’amour destinées à anesthésier la raison, votre projet de loi en matière de laïcité entame une confiscation pure et simple de l’exercice de la citoyenneté pour les personnes qui pratique la religion musulmane, principalement ceux qui ne cherchent pas à l’imposer aux autres mais juste s’assurer de leur salut éternel après la mort. Le fait d’inviter les autres à rejoindre ses idéaux – tant politique que religieux – est un acte de bienveillance tant que l’action consiste à partager ce qui est perçu, à tort ou à raison, de meilleur en le confrontant au débat démocratique. La malveillance commence dés lors que le débat est censuré pour faire place à une domination contraignante, celle-là même que votre loi tend à institutionnaliser au nom d’une laïcité érigée en idéologie concurrente à l’islam au mépris du sécularisme, de la démocratie et des droits de l’homme.

Des responsabilités sont attribuées à un Conseil français du culte musulman qui ne dispose d’aucune légitimité, sinon celle que vous leur octroyez ostensiblement dans l’espoir futile que l’apparence de « vérités établies » puisse orienter la réalité. Mais même son Président finit par vous dire qu’ »il faut savoir renoncer à certains droits pour que la fraternité puisse s’exprimer dans notre pays« .

Pour contrer à la fois le pétage de plomb endogène d’enfants en souffrance de la République et les appels au terrorisme d’entités exogènes qui instrumentalisent l’islam, le discours légaliste des associations islamiques doit démontrer et justifier la différence entre morale, justice et vengeance par une réflexion pédagogique fidèle à l’enseignement coranique. Dès lors que la représentation institutionnelle musulmane porte atteinte à cette altérité, l’hypocrisie produit un dysfonctionnement représentatif qui discrédite le discours légaliste et intellectuel en renforçant symétriquement les mécanismes fanatiques ou manipulateurs.

Regardez les résultats horribles et dramatiques relatifs aux caricatures qui poussent de jeunes imbéciles à commettre l’irréparable. Il n’y a pas plus de projet politique que d’intelligence dans l’attaque au hachoir devant les ex-locaux de Charlie Hebdo ; c’est une réaction irrationnelle qui se base sur des sentiments confus entre frustration, désespoir, conflit de loyauté et mégalomanie. Alors que l’assassinat odieux de Samuel Paty illustre encore une triste explosion de violence face à ce qui est perçu, à tort ou à raison, d’injure blasphématoire provocatrice, vous mobilisez un conseil de défense en vue d’élargir votre projet de loi contre le « séparatisme ». Sans n’aucunement cautionner de tels « crimes passionnels religieux », le fait que l’instituteur invite ses élèves susceptibles d’être choqués à quitter son cours d’éducation « civique et morale » représente une sérieuse déficience d’un tel enseignement qui produit justement du « séparatisme » et de l’exclusion.

En surfant sur la vague d’indignation de ce nouveau martyre de la liberté d’expression, vous le canonisez en « visage de la République ». Mais quelle est le sens de la liberté d’expression qui sort de la bouche de ce visage républicain, lorsqu’il s’agit de pouvoir dire tout et n’importe quoi sur le Prophète de l’islam mais pas sur la shoah ? Le pouvoir judiciaire française a verrouillé les revendications légalistes des associations musulmanes au nom d’une liberté d’expression qu’il a refusé à Dieudonné face aux revendications identiques des associations juives.

Même les Etats-Unis ont critiqué cette inégalité de traitement flagrante. L’ancien Ministre des Affaires Étrangères finlandais, Erkki Toumioja, aurait déclaré : Je ne comprends plus rien. Quand on se moque d’un noir, c’est du racisme. Quand on se moque d’un juif, c’est de l’antisémitisme. Quand on se moque des femmes, c’est du sexisme. Mais quand on se moque d’un musulman, c’est la liberté d’expression…“

Soit la liberté d’expression permet de se moquer tout le monde, ou soit une limite pénale objective veille au respect de chacun en neutralisant toute provocation humiliante qui engendre la violence. Or sur un ton martial qui assassine le consensus par la promesse d’une escalade des peurs, vous usez de l‘appareil judiciaire et de l’école en instrument de vengeance sur une perte du sens des proportionnalités. Sous le coup théâtral de l’émotion, l’exécutif intimide les patrons des réseaux sociaux et tente de renverser la raison gardée du Conseil constitutionnel au sujet de la loi avia. On voit des lycéen-ne-s en garde à vue ou inculpé-e-s pour exercer leur liberté d’expression en exprimant aux professeurs leur indignation sur l’hypocrisie de la liberté d’expression enseignée à l’école républicaine au sujet du voile ou des limites de la satire !

Cette censure pénale illustre le comble de l’hypocrisie politique qui sacralise une liberté d’expression injurieuse dans un arbitraire étatique de plus en plus violent. Ce chaos scolaire n’est pas la seule conséquence de votre discours contre le séparatisme du 2 octobre, Me Arié Alimi, membre de la Ligue des Droits de l’homme, a dénoncé la posture mensongère de la préfecture de police de Paris devant la presse pour éviter d’admettre le lien évident entre des violences racistes et l’emballement du discours politique islamophobe qui accentue la montée des radicalisation et des intolérances de tout bord.

Le secrétaire régional du syndicat de policier Alliance, Rudy Manna, a expliqué être furieux parce qu’il pense que la liberté d’expression a des limites qui justifient la  demande d’une action judiciaire contre le clip de rappeurs « Bandes organisées », en lequel apparaît la scène d’une voiture de police, avec des acteurs déguisés en policiers, être caillassée par des jeunes. Compte tenu de la notoriété des stars et du succès du clip qui comptabilise plus de 148 millions de vues, le  préfet des Bouches-du-Rhône a soumis cette demande à une « analyse juridique » pour éviter un brulot politique et sociétal…

La politique répressive, laquelle va inévitablement s’accentuer avec l’application de votre loi sur la laïcité, ne peut pas manquer de provoquer des effets désastreux sur un retour de bâton des amalgames. Face au déclin des institutions sur un déficit de légitimité démocratique, la contestation sociale s’accumule sur le sentiment que la répression républicaine incarne l’oppression étatique contre laquelle la République est née en 1789.

L’instrument répressif, votre police, déplore déjà un taux de suicide effarant et face au climat exponentiellement délétère, elle essuie une haine populaire de plus en plus criante et violente. On voit ses syndicats demander au gouvernement la protection des policiers « en première ligne » avec des moyens de riposte enclins à provoquer une escalade de violence susceptible d’aboutir aux pires scénarios de science-fiction. Si la comparaison avec les bobbies de la police nationale britannique ne vous semble pas être un indicateur de santé politique, c’est que vous la perdez vraiment de vue. 

Au lien d’apaiser les esprits, vous faites dans la surenchère de la provocation sur un va-t-en guerre qui s’ajoute aux contradictoires du discours de la France en politique internationale : Le printemps arabe fut porteur d’un énorme espoir et, dans un premier temps, nous avons vu le gouvernement Fillon afficher son soutien au régime « ami » de Ben Ali pour ensuite saluer son renversement face à l’ampleur d’une contestation sociale qui a enflammé le monde arabe. Lorsque cette flamme a ébranlé le régime d’Assad en 2012, Laurent Fabius a salué la révolution syrienne comme le droit de lutter contre l’oppression. C’est alors qu’est apparue l’entité DAESH – encadrée par les anciens pontes du parti Baath irakien ulcérés par la coalition occidentale de la guerre du Golf – qui a instrumentalisé le courant wahhabite sur des pratiques inhumaines initialement infligées à leurs opposants dit islamistes. Ainsi, non seulement l’instrumentalisation politique du religieux orchestrée par le régime d’Assad a permis de réhabiliter sa tyrannie comme un moindre mal géostratégique sur un revirement français confus au sujet du droit naturel et imprescriptible de résistance à l’oppression, mais elle se répercute au cœur même de votre projet de loi ouvertement islamophobe.

Le jeu d’amalgame politico-religieux et de confusion sur le droit de résistance à l’oppression ne saurait être le fruit d’une méconnaissance de la complexité du monde arabo-musulman mais l’expression d’une volonté de domination. C’est ce qui empêche la pacification au Sahel, suscite la méfiance paralysante au Liban, provoque l’ire en Turquie et l’appel au boycotte des produits français du Maroc à l’Indonésie.

Lors de vos réponses aux questions des journalistes le 2 octobre, vous citez la « géopolitique de l’islam », que l’on voit « partout dans le monde », en affirmant « ne pas croire que l’islam politique » puisse être compatible avec « une stabilité et une paix dans le monde ». Vous désignez pêle-mêle salafistes et frères musulmans, alors que le président égyptien élu Morsi n’a jamais tenu pareil message de rupture ni même désigné le Coran en constitution. Vous citez les traumatismes du passé colonial de la France avec notamment la guerre d’Algérie, laquelle a pourtant succédé à la complicité du régime de Vichy sur l’antisémitisme criminel des nazis ayant suscité une culpabilité explicative de la partialité française depuis lors.

En réponse aux journalistes, vous avez encore précisé votre intention de traiter ces traumatismes sous le modèle de « vérité et réconciliation », alors que votre projet de loi renforce une inquisition idéologique et une influence coloniale plaçant la France en tête des artisans européens du conflit de civilisations.

3. Plaidoyer en faveur d’un ordre international juste et pacifique salutaire

Ce retour au plaidoyer entend développer une analyse des conséquences les plus graves de l’engagement de votre projet de loi au conflit de civilisations.

Votre discours du 2 octobre admit que la République, submergée par ses propres difficultés et en recule sur les services publics, a laissé se construire une concentration de la misère en France. Or votre projet de loi vise explicitement à décimer un tissu associatif musulman qui pallie significativement aux carences étatiques alors que le risque de basculement d’un million de français en plus dans la précarité à cause de la crise sanitaire est avancé au sein de la Fédération des acteurs de la solidarité.

Au moment où la pandémie piège l’Europe dans l’effet ciseaux d’une perte de productivité et de l’explosion du coût social – un PIB français en recul de moins 13,8% au second trimestre, après une baisse de moins 5,9% au trimestre précédent selon l’OCDE –, vous ne pouvez pas tenir rationnellement l’engagement de la France à réaliser les 146 propositions de la Convention citoyenne pour le climat tout en plongeant la société dans un antagonisme idéologique. Ces deux combats politiques sont antinomiques.

Soit votre priorité est le climat, auquel cas la mobilisation des ressources vise le renforcement du multilatéralisme qui passe de toute évidence par la construction de valeurs universelles en faveur de la justice sociale et d’un sécularisme respectueux du pluralisme religieux pour gagner l’adhésion de tous sur le projet d’un contrat social universel porteur de vie et d’espoir à long terme. Ou soit votre priorité est de maintenir la domination occidentale sur le monde dans l’épuisement des ressources à l’exercice de la contrainte et de la corruption pour imposer une hiérarchie civilisationnelle qui ne se soucie plus que du lendemain, pendant que l’Organisation des Nations-Unies, gangrénée par un droit de veto au Conseil de sécurité qui multiplie, enlise et amplifie les conflits armés au mépris des droits les plus fondamentaux, voit le multilatéralisme s’écrouler sur l’hôtel de ce conflit de civilisations.

Ce qu’il faut retenir, c’est que ce conflit de civilisation, de plus en plus déshumanisé et critique pour imposer la suprématie occidentale, conduit inexorablement à la destruction mutuelle : les lendemains voient les ressources s’amenuiser et les effets dévastateurs de la pollution s’aggraver. Tôt ou tard le manque de ressources va provoquer, au cœur même de l’Europe, des catastrophes entre guerre civile et guerre nucléaire. C’est en ce sens que se distingue très clairement l’intérêt universel de l’intérêt civilisationnel.

L’écologie est un vrai enjeu de santé tant politique que publique concernant non pas une menace idéologique mais existentielle pour les prochaines générations, vos enfants comme les miens. De votre propre chef, vous vous êtes engagé en faveur de La Convention citoyenne pour le climat qui s’inscrit dans le cadre de l’Agenda 2030 des Nations-Unies. Vous ne pouvez pas ignorer que toutes les mesures pour le développement durable susceptibles d’être réalisées par un pays comme la France sont naturellement insignifiantes si elles ne sont pas coordonnées avec des mesures prises par l’ensemble des nations, ce qui établit la nécessité de renforcer le multilatéralisme mondial. Si la France peut certainement souffrir de vos entorses au concept de bon sens d’une « diplomatie économique » guidée selon le principe « pas de bon commerce sans bonnes relations internationales », elle ne saurait pâtir d’un échec d’une « diplomatie climatique » salutaire.

La sauvegarde des équilibres de notre écosystème et la gestion optimale de ressources limitées posent un défi de solidarité inédit à l’échelle humaine. La diversité des valeurs idéologiques et identitaires est une réalité de l’universalité humaine incontournable face à laquelle la force politique n’a que deux choix possibles : celui de la violence pour imposer la suprématie de l’une d’elles sur un système pyramidal, ou celui de la raison pour agencer une coexistence démocratique régulée par le consensus.

Tout comme l’insécurité culturelle, l’insécurité climatique amène à vouloir croire que l’on peut régler tous les problèmes par des décrets et par des lois. Le déclaratoire onusien, déguisé en multilatéralisme d’apparence, tend à le laisser croire ; mais si c’était vrai, alors ce serait le triomphe de la dictature. La santé, tant politique que publique, consiste à admettre la corrélation entre le problème de l’écologie, de la paix civilisationnelle et de la paix confessionnelle, car la réponse à un tel défi ne peut être qu’une action globale coordonnée par une concertation à l’échelle mondiale qui ne peut émaner qu’à partir d’un consensus de valeurs universelles.

Pour justifier les nouvelles mesures face à la seconde vague du coronavirus, vous avez déclaré :  » J’ai besoin de chacun d’entre vous, nous avons besoin les uns des autres « . Cette justification vaut autant, sinon plus, pour la lutte contre la pollution qui est déjà un enjeu de santé publique tout aussi important sinon plus à moyen terme. Je reste persuadé que l’être humain est capable de soulever des montagnes s’il est convaincu que ses efforts et ses sacrifices vont apporter quelque chose d’important pour lui et ceux qu’il aime. L’efficacité de l’intelligence collective nécessaire aux nouveaux problèmes de nature globale ne peut être atteinte que par une mobilisation de l’ensemble des acteurs politiques et sociaux sur la valorisation et la responsabilisation d’une activité intellectuelle impartiale et honnête.

Pour que la fraternité puisse emporter une telle signification sociale et politique à l’échelle universelle, la force étatique doit être subordonnée au droit garant de la pluralité de valeurs et non à l’arbitraire qui cherche à imposer par tous les moyens la suprématie d’une valeur idéologique ou identitaire qui exclut l’une ou l’autre des minorités. Lorsque la volonté de domination parvient à infantiliser les citoyens dans le conformisme et la loyauté envers une pensée unique pour discréditer toute critique ou contestation, la démotivation des gens rendus impuissant sur l’impression de ne pouvoir rien changer de sérieux désamorce le potentiel salutaire de l’effort collectif.

L’antagonisme civilisationnel généré par votre projet de loi sur la laïcité empêche sans aucun doute le multilatéralisme de déployer la mobilisation et la concertation de l’effort intellectuel de l’humanité pour échafauder les solutions théoriques et pratiques aux vrais problèmes de notre avenir commun. Le devoir d’espoir, que vous avez évoqué, consiste, bien au contraire de votre projet de loi, à défendre la coexistence respectueuse et pacifique de l’ensemble des systèmes de valeurs pour une entente universelle qui est le préalable incontournable de la voie résolutoire aux nouveaux problèmes globaux comme le climat et la raréfaction des ressources. Assurément que le sécularisme représente le choix consensuel du contrat social démocratique basé sur l’équilibre entre devoirs religieux ou philosophiques communautaires et droits politiques universels, alors que la laïcité est celui d’une administration de la foi et des consciences qui mène au conflit et à la violence. C’est donc bien le sécularisme, à l’inverse de la laïcité, qui ouvre la perspective d’un ordre international juste et pacifique salutaire pour notre espèce.

4. Conclusions

Pour conclure ce qu’il faut retenir de ce plaidoyer réquisitoire, c’est que votre projet de loi révoque la tolérance religieuse de 1905 en infligeant à l’islam sunnite une forme de « Constitution civile » sur le modèle antipapiste de 1790.

En appelant à la défense de la Vème République contre une prétendue menace existentielle fondée sur un jeu d’amalgame, vous dressez la citoyenneté républicaine et la foi musulmane en concurrence pour induire un conflit de loyauté sur un va-t-en guerre qui trahit la démocratie, renverse les droits fondamentaux et détruit l’universalité. L’image que vous prenez le risque de graver dans l’histoire est, au mieux, celle de Louis XIV ayant révoqué l’Edit de Nantes ou, au pire, celle d’Hitler dont la contagion haineuse envers une communauté particulière a provoqué une catastrophe mondiale. Dans un contexte moderne où tout est interdépendant, accéléré et amplifié, il est impossible de prévoir la portée et la gravité des conséquences de la rupture de la paix confessionnelle occasionnée par votre projet de loi, en termes d’effondrement civilisationnel et de dégâts à l’écosystème.

Naturellement, l’effet d’annonce politique de votre discours rend difficile, sinon impossible, la possibilité de vous dédire. Une copie de ce plaidoyer réquisitoire est donc remise pour information au Conseil constitutionnel, lequel sera amené à examiner le fond de votre projet de loi en tant qu’ultime « gardien des promesses de justice et démocratie » selon le titre du magnifique ouvrage d’Antoine Garapon.

En espérant que la présente missive puisse trouver une considération pour les enjeux existentiels en cause, veuillez agréer, Monsieur le Président de la République française Emmanuel MACRON, l’expression de mes sentiments les plus pacifiques et constructifs.

David IMHOF

Président de la Ligue musulmane genevoise pour la paix confessionnelle, Recourant contre la loi genevoise sur la laïcité de l’Etat ainsi que contre le règlement d’application de cette loi.