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Emmanuel Macron veut le retour du mandat français

colonies françaises

La France affirme, dans la période post-printemps arabe, sa politique de renforcement de sa présence dans le triangle géopolitique Méditerranée-Afrique-Moyen-Orient. Dissimulant et légitimant ses réelles ambitions politico-militaires et, dans ce contexte, ses objectifs historiques des « autres », la France tente de prendre sa place dans le processus de construction d’un nouvel ordre mondial, avec sa politique alimentée par les crises. Cette politique est une preuve du retour du mandat français.

La France, dans le cadre de sa nouvelle politique impérialiste, est entrée une fois de plus dans une lutte historique avec la Turquie, tentant sur un plancher glissant, de créer des nouvelles alliances. Pour la France, qui tente de faire de la lutte Est-Ouest et même de la lutte pour le pouvoir en Occident une opportunité, les « maillons faibles » et la lutte d’influence dans ces régions, ont une place importante.

Appel au mandat au Liban

L’appel au mandat du président français, Emmanuel Macron, apparu dans les rues de Beyrouth après la récente explosion survenue au Liban, est très important à cet égard ; notamment dans la période succédant à la fin de la Guerre froide, à une époque où les États-Unis étaient dans l’ivresse de la victoire, en ce qui concerne l’Afrique, la France y pris ses premières initiatives sérieuses, dans le but de combler le vide apparu au sein du système international et de reconstruire la « Grande France » à travers ce contexte.

En effet, la France tente de retrouver une position de force en Afrique, en utilisant des éléments de « hard power » et de « soft power ». Dans ce contexte, les signaux que le hard power passera au premier plan dans la politique africaine de la France, constituée de variations entre la « diplomatie des musées » et les interventions militaires, deviennent de plus en plus clairs.

Les développements du mois de juillet dernier ont été assez frappants à cet égard. Le premier d’entre eux était que les crânes de 24 résistants algériens qui ont combattu l’occupation française de 1830 à 1962, ont été restitués 170 ans plus tard à leurs pays par le musée où ils étaient exposés en France, et cela a été présenté comme un succès de la diplomatie française.

Bien que cet incident, qui peut être décrit comme une application différente de la « diplomatie des musées » en ligne avec l’objectif de Macron de faire la paix avec l’Afrique et de prendre un nouveau départ, est un pas engagé afin de corriger l’image sanguinaire de la France en Afrique. Cela démontrait également ce que la France, le pays le plus brutal, impitoyable et barbare parmi les États coloniaux, « est capable de faire ». Par conséquent, cette pratique de la « diplomatie », qui ravive la mémoire historique, a déjà pris sa place dans l’histoire comme une autre manifestation de l’impudence colonialiste.

En revanche, après que la Ministre de la Défense Florence Parly a annoncé, mi-juillet, qu’elle enverrait une centaine de soldats au Mali dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, des soldats ont été envoyés de la base française de ce pays vers le sud de la Libye afin de prêter main-forte à Haftar, et les allégations selon lesquelles le porte-avions Charles de Gaulle était ancré à 80 kilomètres de Syrte, indiquent que les opérations militaires de la France sur ce continent vont continuer de s’intensifier.

Ces évolutions sont, sans aucun doute, assimilées à une « occupation de facto » et suscitent de vives inquiétudes chez toutes les parties concernées, en particulier les anciennes colonies françaises. Tout cela, bien sûr, vise à atteindre les objectifs de la France, qui peine à maintenir son hégémonie en Afrique francophone, et de Macron, qui tente d’y trouver une solution. Alors pourquoi la France essaie-t-elle de mettre en œuvre des politiques aussi contradictoires en même temps ? Quel type de stratégie est à l’origine d’une telle présence française en Afrique ? Pourquoi la France ne peut-elle pas abandonner l’Afrique ?

La politique coloniale française en Afrique

Il y a trois périodes principales dans la politique africaine de la France: le colonialisme classique qui a duré jusqu’à après la Seconde Guerre mondiale, quand elle a perdu ses colonies, le néocolonialisme qui est venu avec la guerre froide et la période post-guerre froide. Cette troisième période peut être divisée en deux : avant et après le « printemps arabe ».

Avec le printemps arabe, la présence militariste de la France s’est manifesté non seulement dans la lutte contre les administrations existantes en « Afrique française » et contre les organisations terroristes, mais aussi afin de mener des opérations secrètes et des démonstrations de pouvoir contre des pays tiers qui menacent la présence et les intérêts de la France dans la région, ou qui représentent un potentiel de menacer ces intérêts.

L’incapacité de la France à accepter des acteurs ou des formes de relations différentes de celles de la période coloniale classique vis-à-vis de l’Afrique, sa persistance à les voir comme une menace supplémentaire et à les refléter comme la « menace commune du monde occidental » constitue la base de sa politique actuelle. De ce fait, ce sentiment de « propriété » qui perdure dans la compréhension française de l’Afrique qu’elle voit comme son « arrière-cour où elle peut faire ce qu’elle veut » révèle, dans ce contexte, les motivations derrière ses diverses méthodes et pratiques envers ce continent.

Le fait que la France mène une politique plus ambitieuse en Afrique par rapport aux autres acteurs, son déploiement sur le continent et les résultats qu’elle a obtenus soulèvent naturellement la question de l’infrastructure de sa politique envers ce continent.

La France qui, dans ce contexte, mène une politique stricte en Afrique, politiquement mais aussi économiquement, dispose d’une infrastructure extrêmement solide dans ses anciennes colonies. On voit que la France, qui a arrangé les politiques d’éducation et d’administration des ex-colonies en accord avec ses propres intérêts et afin de pérenniser sa domination sur le continent, a préféré gérer ses colonies de façon centralisée, utilisant des éléments de soft power dans ces pays, et au premier rang de ceux-ci, la langue et la culture françaises ; le français étant la langue officielle dans presque toutes ses anciennes colonies; et dans certaines d’entre elles, il n’y aucun usage officiel des langues maternelles, la seule langue officielle commune étant le français.

Mandat français : la « *Françafrique » et les « États sans nation »

Basée sur sa doctrine de l’assimilation des peuples autochtones, l’octroi de privilèges à un certain segment de la société de ses anciennes colonies, et la création d’un État de classe élitiste qui coopérera avec elle et qu’elle soutiendra avec du personnel d’origine française, constituent une partie importante de la politique de « diviser pour régner » suivie par la France. Pour cette raison, la France tient un rôle important dans la construction des « États sans nation » de l’Afrique.

La base de la présence et la puissance de la France en Afrique réside dans le fait que la quasi-totalité des élites occupant des postes clés est scolarisée en français, aujourd’hui comme par le passé. Par conséquent, en raison de sa politique de prévention de la formation de la conscience et des structures nationales et afin d’assurer leur subordination économique, culturelle et sociale, la politique d’assimilation visant à créer le « Français noir » revêt à ce stade une grande importance. Les pays africains qui ont intégré le drapeau français à leurs propres drapeaux après avoir déclaré leur indépendance et les dirigeants et intellectuels africains qui ont évoqué des concepts tels que la « Françafrique » en sont considérés comme les plus grandes preuves.

Un autre point important est que la France ne coupe jamais ses relations politiques, militaires, commerciales et culturelles avec ses anciennes colonies en Afrique et la poursuit avec différents outils et méthodes. La France reste donc le partenaire commercial et sécuritaire le plus important de ces pays. Dans ce contexte, s’assurer à travers la création d’économies dépendantes d’un produit unique que ses anciennes colonies ne puissent se détacher d’elle, les accords de coopération en matière de défense qu’elle a signés en se retirant de ces pays, et le rôle de « gendarme de l’Afrique » qu’elle s’est octroyée, constitue évidemment la plus grande garantie de la présence française et de ses 130 interventions militaires entre 1945 et 2005, dans ces pays.

Pour énoncer les faits avec simplicité, ce rôle de « gendarme de l’Afrique » et ses méthodes militaristes sont considérés comme inévitables pour la France. Car à la racine de l’expansionnisme français, les soldats et les politiques d’occupation sanglantes constituent ses forces d’avant-garde : les soldats cèdent ensuite la place aux marchands. Ce qui se fait aujourd’hui n’est en fait pas différent du passé. Ce mode de fonctionnement constitue l’origine de l’attitude de Macron face aux crises dans la région, en particulier en Méditerranée orientale, et de son attitude à l’égard de la Turquie, en mettant en avant l’armée française et en lançant des cris de guerre.

Ceux qui agissent contre le système mis en place par la France sont punis. Ce fait est admis par la France elle-même à travers les mots « On ne peut pas traiter l’Afrique sans se salir les mains ». Les coups d’État et les assassinats perpétrés contre les présidents et autres hommes d’État, les intellectuels, les journalistes, les hommes d’affaires et contre ceux qui tiennent le discours rappelant que « l’Afrique appartient aux Africains », sont parmi les indicateurs les plus concrets de la « main sanglante » de la France. Parce que la France ne peut en aucun cas risquer de perdre l’Afrique; surtout en cette période où elle commence à avoir des difficultés à maintenir son hégémonie en « Afrique francophone » et où les défis se multiplient.

– « Sans l’Afrique, la France est un pays impuissant ! »

En fait, cette déclaration elle-même résume largement pourquoi la France n’a pas pu renoncer à l’Afrique. En effet, pour la France qui a colonisé Saint-Louis (aujourd’hui le Sénégal) en 1659, ces pays sont considérés à la fois comme un marché important et comme des fournisseurs qui sauront répondre à ses besoins en énergie et en matières premières. Dans les années 1950, 60 % du commerce extérieur de la France se faisait avec l’Afrique et 30 % de ses besoins énergétiques étaient satisfaits par le continent africain. Aujourd’hui, les besoins de la France se sont encore accrus, notamment dans le contexte de la sécurité énergétique. Comme on le sait, l’énergie nucléaire occupe la première place dans la production énergétique de la France et la France soustrait l’uranium nécessaire à ce secteur des pays africains. Bien sûr, il y a aussi l’aspect pétrolier et gazier du problème.

Outre l’achat de matières premières, la France est le pays qui exporte le plus vers ces pays. Par conséquent, bien qu’elle se soit retirée de ces pays, cette relation de dépendance économique mutuelle se poursuit. De plus, la ressource humaine que la France utilise pour combattre reste africaine. Ce processus, qui a commencé avec les « tirailleurs sénégalais », a atteint son apogée lors de la Première Guerre mondiale durant laquelle 845 000 soldats d’origine africaine de l’Armée française ont combattu pour ce pays sur différents fronts. Les terres ottomanes et même *[Gazi]Antep étaient parmi les endroits où ils se sont battus. Au stade actuel, des « tirailleurs sénégalais » sont sous les drapeaux pour Paris, qui a du mal à recruter des soldats dans son pays, et bien sûr il ne s’agit pas uniquement d’Africains d’origine sénégalaise.

Tentant de faire du processus de désintégration de l’Occident et de la lutte de pouvoir ou concurrence avec la Chine une opportunité, et augmentant sa présence militaire et ses opérations sur le continent dans ce contexte, la France cherche à nouveau une « renaissance » à travers l’Afrique. En d’autres termes, elle rêve de récupérer les pertes causées par l’effondrement du deuxième plus grand empire colonial du monde, et de regagner ses frontières de la période entre 1919 et 1939. Alors que la France et d’autres pays accusent la Turquie de « néo-ottomanisme », si l’on regarde les faits dans la pratique, il est entendu que ces pays sont rapidement revenus à leurs méthodes historiques et ont vu leurs colonies, notamment l’Afrique, comme un lieu de salut, et plus encore, comme un lieu de reconstruction de leurs « empires sanglants ». Il est nécessaire d’évaluer les appels au mandat, dans ce contexte.

En ce sens, la maîtrise des ressources énergétiques en Afrique (en particulier l’uranium) est d’une importance vitale pour la France. Posséder des ressources naturelles stratégiques et contrôler les routes est d’une grande importance en termes de capacité de la France à mettre en œuvre sa projection de puissance et à renforcer ses atouts, stratégiquement face à d’autres centres de pouvoir (ou candidats à devenir centres de pouvoir) qui ont également besoin de ces ressources. Car, comme par le passé, l’Afrique est à nouveau au premier plan en termes de sécurité alimentaire, énergétique et fluviale, notamment dans le « New Big Game ».

– Le retour du mandat, la fin de l’Occident

L’importance de l’Afrique du Nord et de l’Est en termes de contrôle de la région s’étendant jusqu’au détroit de Malacca dans le cadre du projet « Nouvelles routes de la soie » qui s’est immiscé à l’ordre du jour avec le projet « One Belt One Road » de la Chine (avec les détroits de Gibraltar, le Canal de Suez et le détroit de Bab al-Mandeb), *a porté une nouvelle lutte de pouvoir à l’ordre du jour. Pour la France, l’importance géopolitico-stratégique du continent se manifeste par son intérêt croissant et ses opérations vers la ceinture sahélienne, surtout dans la période récente.

En fait, la France a voulu faire passer le message qu’elle est prête pour une telle lutte, avec l’opération Libye en 2011. L’ « Armée africaine » (RECAMP), que les États-Unis ont créée en 1997, dix ans avant l’Armée d’Afrique (AFRICOM), est pertinente dans la compréhension de la situation ayant mené la France à ce processus de préparation. Autre point pertinent réside dans les deux expansions majeures de la politique étrangère de la Turquie, un an plus tard : l’Amérique latine et l’Afrique. Avec l’influence croissante d’Ankara dans la région (y compris la ceinture France Afrique-Sahel) à travers son soft power, et à travers sa sécurité renforcée par des bases militaires, la Turquie s’est transformée en une menace plus prioritaire pour la France.

Jusqu’à hier, la menace au premier degré pour l’Occident, menée par la France et les États-Unis, était la Chine. Il semble que la Turquie ait désormais une longueur d’avance sur la Chine. En fait, personne ne parle de la Chine pour le moment. Cet aspect aura sans aucun doute un effet qui affaiblira l’Occident dans la lutte de pouvoir plus sévère avec la Chine, qui se profilerait à moyen ou long terme. Berlin et Washington en sont particulièrement conscients. Un autre point dont les deux capitales sont conscientes est qu’il y a presque un passage forcé et même que nous sommes dans une période de transition, entre le « Traité de Berlin » et le « Traité de Beijing ».

Paris le voit sans doute aussi (bien qu’elle ne le dise pas à voix haute). Par conséquent, les politiques suivies par la France (et bien sûr les États-Unis) au cours de la période récente ont ouvert la voie au renforcement de la Chine sur ce continent. Parce que la tentative de la France de retourner dans ses colonies par des méthodes anciennes et familières (uniquement en diversifiant les raisons et en les adaptant à la conjoncture d’aujourd’hui) fait payer un prix à tout l’occident dans la région.

Du coup, Paris veut construire la « Grande France » sur l’Afrique et le Moyen-Orient en utilisant des acteurs occidentaux, notamment l’Union Européenne. Pour cela, elle cherche à s’installer en Méditerranée ; Cela sous-tend l’importance qu’elle attache à l’Afrique du Nord, en particulier à l’Algérie et à la Libye. La France poursuit la réalisation de cet objectif en montrant la Turquie du doigt. Le dernier appel au mandat réalisé par Macron au Liban démontre cette constatation. Cet appel montre également que la politique de soft power de la France, qui a tenté de sortir la politique africaine de son contexte colonial et de la replacer sur un terrain nouveau au lendemain de la guerre froide, a fait faillite.

La France revient donc au colonialisme classique qu’elle connaît le mieux. On ne peut pas dire qu’on peut parler d’une nouvelle politique africaine de la France, qui est revenue à l’ancienne conception colonialiste avec Macron, après Sarkozy. La livraison des crânes de 24 combattants à l’Algérie, commercialisée comme un gage de sa nouvelle politique, n’est rien de plus qu’une tentative de « restaurer la mémoire historique » de toutes ses anciennes colonies, notamment d’Afrique. 18 mille crânes dans les musées de France attendent leur tour dans ce contexte !

[Professeur de l’Université d’Ankara Hacı Bayram Veli. Le Professeur Mehmet Seyfettin Erol est également Directeur du Centre de recherche politique et de crise d’Ankara (ANKASAM)]

Source AA