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Que se cache derrière les crises entre la France et la Turquie ?

Macron Erdogan

« Haro sur la Turquie ! », c’est par cette expression que Dominique Merchet, ancien journaliste du quotidien « Libération » et expert en questions militaires et stratégiques, débute un article consacré aux derniers développements concernant les relations franco-turques. Il revient ainsi sur les différentes crises de ces dernières années entre la Turquie et la France

Correspondant défense et diplomatie du quotidien l’Opinion, Dominique Merchet a publié dans les colonnes de l’Opinion, dimanche 21 juin, un article dont il a emprunté le titre à une expression d’un diplomate français (qu’il ne nomme pas) :

Quand la France dresse « le catalogue des turpitudes de la Turquie » !

Revenant sur les derniers faits qui ont excité l’ire cyclique de l’Elysée et du Quai d’Orsay, Merchet indique que lors d’une réunion des ministres de la Défense des pays membres de l’OTAN, la ministre française de la défense, Florence Parly, a affirmé que la marine turque avait eu, le 10 juin, des comportements « hostiles et inacceptables visant à entraver les efforts de mise en œuvre de l’embargo sur les armes des Nations unies ».

Crise en mer

A l’issue de cette réunion, le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, a annoncé, jeudi 18 juin, que l’Alliance « va ouvrir une enquête sur les accusations de la France relatives à un incident présumé impliquant la marine turque en mer Méditerranée ».

Et Merchet de souligner que « le contentieux entre Paris et Ankara se nourrit de nombreux dossiers d’actualité, mais il s’inscrit dans un contexte géopolitique et historique plus profond. »

L’article rappelle que le dossier libyen n’a pas arrangé les choses entre Paris et Ankara, puisque « la France y soutient le maréchal Haftar, qui tentait de conquérir par les armes la capitale Tripoli, où siège le gouvernement reconnu par les Nations Unies », et que l’intervention turque a changé la donne en faveur des forces gouvernementales libyennes.

« Haftar est aujourd’hui en déroute et la France, très mauvaise perdante, (…) dénonce ‘’la politique clairement agressive d’Erdogan’’ », ajoute le journaliste de l’Opinion, qui souligne « l’assourdissant silence de la diplomatie française sur le rôle des Emirats arabes unis (EAU), principaux soutiens du camp Haftar (…) et sur la découverte de charniers à Tarhouna (sud-est de Tripoli), des crimes de guerre attribués aux forces d’Haftar. »

L’article de l’expert français en questions militaires et stratégiques, souligne que « le raidissement anti-turc de la France ne fait pas l’unanimité chez ses alliés, quoi qu’en disent publiquement les diplomates. Ni les Etats-Unis, ni l’OTAN, ni le Royaume-Uni ou l’Allemagne ne veulent rompre avec la Turquie, membre de l’Alliance atlantique, pour sauver un soldat Haftar démonétisé ».

C’est ainsi que Merchet rappelle que ces puissances alliées de la France « s’inquiètent bien plus de l’installation des Russes en Libye et voient dans la Turquie un contrepoids ».

Autres crises entre la Turquie et la France

Outre la Libye, des dossiers aussi brûlants que la Syrie, la pression migratoire ou le partage des eaux en Méditerranée, sont autant de sujets qui enveniment les relations franco-turques, selon Merchet qui cite un diplomate français parlant de «catalogue des turpitudes de la Turquie ».

L’offensive turque, menée en octobre dernier contre les terroristes du PYD, branche syrienne du PKK, dans le nord de la Syrie, « avait déjà vivement mécontenté la France », qui ne cache plus son soutien à cette organisation, pourtant qualifiée d’organisation terroriste par les Etats Unis et l’Union Européenne. L’article de l’Opinion rappelle que « contraints de s’aligner sur les Etats-Unis, les français n’ont pu que ronger leur frein et constater que le dossier syrien leur échappait au profit des russes et des turcs. Comme en Libye ».

S’agissant de la « pression migratoire », Dominique Merchet rappelle qu’en 2016, « la Turquie avait accepté de garder chez elle plusieurs millions de réfugiés, en échange d’une aide humanitaire de l’UE », précisant que seule la moitié de cette aide promise a, à ce jour, été délivrée, laissant la Turquie supporter seule le fardeau que représente la prise en charge de ces réfugiés, comme le rappelait, dimanche, le président Erdogan, dans son discours à l’occasion de la Journée Mondiale des Réfugiés.

La crise méditerranéenne

Vient ensuite le dossier brûlant du « partage des eaux de la Méditerranée », l’occasion pour le journaliste de mettre l’accent sur « l’enjeu gazier » à l’origine de ce contentieux.

La France conteste l’accord de novembre 2019 conclu entre la Turquie et le gouvernement légitime de la Libye sur le partage des eaux, voulant ainsi empêcher la Turquie d’exercer le droit que lui confère cet accord de prospecter dans certaines zones maritimes que convoitent d’autres acteurs régionaux.

«Plutôt que de tenter de trouver un accord négocié, la France soutient les positions très dures de la Grèce, comme on l’a encore vu avec la visite à Paris le 15 juin du ministre grec des affaires étrangères », souligne ainsi Merchet.

La diabolisation de la Turquie

« Toutes ces crises récentes se nourrissent d’un contentieux plus ancien », relève l’article de l’Opinion, qui ajoute que « la Turquie a mauvaise presse en France », avant de rappeler que ceux qui veulent faire passer la Turquie pour une dictature, afin de la « mettre dans le même sac que la Russie ou à la Chine », font mine d’oublier que « les deux plus grandes villes du pays, Istanbul et Ankara, sont dirigées par des maires (élus) de l’opposition. Ce (qui) n’est pas le cas à Moscou ou à Saint-Pétersbourg, sans parler de Pékin ou Shanghai… ».

Dominique Merchet souligne aussi que les crises entre la France et la Turquie « a atteint un tel niveau qu’il faut espérer que le président Macron prendra l’initiative d’une désescalade, comme il a su le faire l’été dernier avec la Russie de Vladimir Poutine ».

Dernière critique en date, émanant d’un expert français en questions militaires et stratégiques, concernant la politique de Macron vis-à-vis de la Turquie, l’article de l’Opinion se fait ainsi l’écho des nombreux appels que des observateurs et des analystes français adressent au locataire de l’Elysée et à ses exécutants du Quai d’Orsay, afin qu’ils mettent le holà à cette approche négative dans les relations avec un des principaux membres de l’OTAN, organisation avec laquelle Paris a « récemment renoué ».

Cette « Alliance » que le Général de Gaulle n‘avait donc pas hésité, en son temps, à qualifier de « machin », poursuit des objectifs autrement plus sérieux que ceux de certains de ses membres qui « fabriquent de toutes pièces » des incidents en mer, pour détourner les regards d’une politique qui ne fait que « naviguer à vue » !

Le lointain successeur du Général de Gaulle saura-t-il répondre à ces « français qui parlent à la France », autrement qu’en leur servant un « Je vous ai compris » ?