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Macron ne veut pas des lois de la Turquie en France

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Depuis des mois, la France attendait un positionnement clair et franc du président Emmanuel Macron sur la question de la laïcité. Et pourtant il a préféré s’attaquer aux lois de la Turquie en France sans jamais citer ses lois en questions.

Et ce n’est que ce mardi, depuis Mulhouse (nord-est), que le chef de l’Etat a choisi de répondre, non pas pour réaffirmer ce principe républicain, mais pour pointer du doigt un prétendu « séparatisme islamiste » duquel il souhaite sauver les Français.

Au terme d’une déambulation dans un quartier populaire de la ville, Emmanuel Macron a prononcé un long discours durant lequel il a annoncé vouloir « mettre fin au système des imams détachés », « reprendre le contrôle et lutter contre les influences étrangères », en mettant en place un « financement transparent des lieux de culte ».

Il a également affirmé que le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner avait récemment demandé au CFCM (Conseil Français du Culte Musulman), de « s’organiser, former et certifier » les imams qui officient sur le sol français.

S’il a dans un premier temps été plutôt rassurant, en martelant ne pas vouloir stigmatiser qui que ce soit, le ton s’est largement gâté au fil des minutes. Fustigeant, tour à tour, ceux « qui refusent de serrer la main à une femme », ceux qui « demandent des certificats de virginité » aux femmes, ou encore ceux qui souhaitent choisir les médecins par qui ils sont examinés, le chef de l’Etat s’est attiré les foudres des communautés musulmanes locales.

Fin des cours de Turc

Mais ce n’est pas tout. Durant son allocution, Emmanuel Macron s’en est largement pris à la Turquie au sujet des professeurs déployés dans les écoles pour apprendre les langues étrangères. Ses attaques sont motivées par le fait que les deux pays n’ont, pour l’heure, pas trouvé d’accord sur le sujet. Il a ainsi insisté sur le fait qu’il n’acceptera pas les « lois de la Turquie en France ». Pourtant, il n’a pas détaillé le problème. A aucun moment, il n’a donné des exemples concrets.

Le président français a fait savoir que « si aucune solution n’est trouvée avec la Turquie », Paris mettra fin au protocole pour trouver ses propres enseignants et son propre système d’apprentissage de la langue turque.

Même son de cloche concernant la question des « imams détachés » provenant du Maroc, d’Algérie et de Turquie. Le gouvernement français va mettre fin au système de détachement et souhaite empêcher Ankara d’envoyer des imams pour ses missions temporaires qui visent à pallier un manque criant au sein des mosquées. Par ailleurs, il a fait savoir que le Maroc et l’Algérie allaient coopérer avec la France.

Tous les médias ont par ailleurs titré « lois de la Turquie en France ». Ainsi, la crise diplomatique entre la Turquie et la France est passée devant les autres sujets de l’actualité.

Et les attaques de Macron ont très logiquement suscité l’émoi.

Pour Ifakat Yuna, à la tête de l’ORIW (Organization of Racism and Islamophobia Watch), la position du président français a été « un choc ».

« Sommes-nous dans une dictature en France, pays des soi-disant libertés? » questionne la dirigeante?

L’écho s’est également fait retentissant du côté des institutions turques.

Mustafa Sentop, président du parlement turc, notamment a vigoureusement réagi en qualifiant les propos de Macron sur le « séparatisme islamiste » « d’ émanation d’une islamophobie primaire » et enjoint la « France à faire face à son histoire jalonnée de racisme et de massacres ».

Tentative de diversion ?

Dans un contexte politique déjà très troublé par les violences policières et la répression parfois démesurée des manifestations, Emmanuel Macron a donc choisi de s’immiscer dans la gestion du culte musulman.

C’est un discours et une attitude qui traduisent « un retour à la gestion coloniale de l’Islam en France », selon Ali Rahni, membre fondateur de la plateforme L.E.S. Musulmans.
Il fustige une approche « sécuritaire » du sujet, qualifiant notamment cette démarche du président français de « diversion stratégique », il se demande si la nouvelle direction du CFCM « va céder à cette ingérence dans l’organisation du culte musulman ».

Pour ce militant associatif de longue date, « les attaques contre la Turquie, que l’Etat veut écarter des écoles, et mettre à l’index sur la question des imams détachés » sont un coup bas.

Il pointe du doigt un « statut d’exception pour les musulmans, puisqu’on définit des politiques et des lois qui les visent spécifiquement ».

« La laïcité c’est de respecter l’autonomie des communautés religieuses et non de leur imposer des ministres et représentants de culte qui seraient politiquement acceptables », dénonce Ali Rahni qui conclut son propos en mettant en relief un potentiel « effet contre-productif » de l’approche d’Emmanuel Macron.

Fichage permanents des musulmans

En réalité, ces annonces s’inscrivent dans la continuité de nombreuses déclarations émanant de la présidence et du gouvernement français.

Fin 2019 déjà, après la tuerie de la préfecture de police de Paris, le chef de l’Etat avait appelé à « bâtir une société de vigilance » pour repérer les signes de radicalisation, tandis que le ministre de l’Intérieur avait été encore plus loin, désignant le port d’une barbe ou une simple conversion à l’Islam, comme « signaux » potentiels de radicalisation.

Christophe Castaner affirmait même sur son compte Twitter que la « déscolarisation, l’économie parallèle et les inégalités femmes/hommes » était inhérentes à ce qu’il qualifie d’« islamisme » et qui, selon ses propres termes, « veut se substituer au modèle républicain » français.

Sur les réseaux sociaux, l’avocat Cédric Mas avait immédiatement réagi en dénonçant « la fabrication d’un ennemi de l’intérieur par un appareil politique contesté pour ses échecs réels à régler les vrais problèmes des Français ».

Et pour cause, il n’est pas le seul à dénoncer les dérives du pouvoir en place et ses capacités à désigner les musulmans comme de potentiels ennemis.

Etat d’urgence permanent

Dans son livre « Ennemis d’Etat », l’avocat parisien Raphaël Kempf relate également la manière dont la France utilise des lois d’exception pour couvrir ses abus.

Il y explique en détail comment ces lois, « votées dans l’émotion, donnent un pouvoir extraordinaire à l’Etat, à la police et au ministère public pour réprimer des adversaires politiques avant de cibler, peu à peu, tous les citoyens ».

Il estime qu’à « la faveur de l’Etat d’urgence déclaré en 2015 puis de sa transposition dans le droit commun en 2017 », la France a instauré une « logique du soupçon ».

Lors de perquisitions, désormais appelées « visites domicilaires », et fondées sur « un soupçon » souvent irrationnel de radicalisation, l’avocat explique que la plupart du temps, « les forces de l’ordre constatent que la personne a telle ou telle lecture » et alimentent simplement les fichiers des services de renseignements en l’absence d’infraction.
D’autant plus que rare sont ceux qui saisissent la justice pour obtenir réparation pour le préjudice et l’humiliation provoqués par ces procédures.

Malgré son discours empreint d’une volonté certaine de vouloir contrôler le culte musulman, Emmanuel Macron s’est confronté à la réalité, au moment d’aller à la rencontre des habitants.

Alors que la visite du chef de l’Etat à Mulhouse était placée sous le signe de la lutte « contre le séparatisme islamiste », les citoyens qui ont pu approcher Emmanuel Macron l’ont rapidement interpellé sur les vraies questions inhérentes à leurs difficultés quotidiennes.

Au programme donc : chômage, précarité, retraite, budgets des associations…

Une preuve flagrante que l’agenda présidentiel est bien loin des préoccupations des habitants des quartiers populaires !

En tout cas, la sortie d’Emmanuel Macron sur les lois de la Turquie en France semble bien fonctionner puisqu’on ne parle plus de la réforme des retraites.

Feïza Ben Mohamed 

Source AA