MEDYATURK | Publié le . Mis à jour le

Meurtre du journaliste saoudien Khashoggi : on vous dit tout

Le journaliste Jamal Khashoggi, qui s’opposait dans ses chroniques publiées dans le Washington Post au prince héritier Mohammed Ben Salmane (MBS), n’a plus donné signe de vie après s’être rendu, mardi 2 octobre, au consulat de son pays à Istanbul, en Turquie.

Le journaliste de 59 ans est l’un des reporters les plus connus en Arabie saoudite. Il est régulièrement invité sur les plateaux des chaînes anglo-saxonnes, comme en octobre à la BBC.

Le journaliste, qui n’a jamais eu sa langue dans sa poche, critique les méthodes du prince, et notamment la répression des opposants politiques. Sous l’impulsion de ce dernier, son ami milliardaire Al-Walid Ben Talal sera d’ailleurs arrêté en septembre 2017, et détenu plusieurs mois, avec 10 autres princes, à l’hôtel de luxe Ritz-Carlton de Riyad. Le journaliste dénonce aussi l’engagement militaire du royaume au Yémen et prend la défense des Frères musulmans considérés comme des terroristes par l’Arabie saoudite.

Jamal Khaghoggi s’exile donc aux Etats-Unis, à l’été 2017, et démarre une contribution aux pages d’opinions du Washington Post. 

Le journaliste est fiancé à Hatice Cengiz, une ressortissante turc de 36 ans. Le couple souhaite se marier, mais pour cela il doit au préalable fournir la transcription de son précédent divorce.

Afin d’obtenir ce document il faut que Jamal Khaghoggi se rende dans l’un des consulats du Royaume, n’importe où dans le monde.

Intelligence Saoudienne 

Au consulat d’Arabie Saoudite de Washington, on lui explique que pour obtenir le document il doit impérativement se rendre au consulat à Istanbul. Pourquoi ne lui donne-t-on pas la transcription aux États-Unis ? Et pourquoi lui dire d’aller en Turquie et non pas au Japon, au Brésil, en Afrique du Sud ou en France ?

Analyse sur le choix stratégique du consulat à Istanbul

Les États-Unis par expérience savent manipuler le monde politique. L’un des partisans de la confrérie de Fethullah Gülen avait abattu un avion russe Su-24  le 24 novembre 2015, mettant un sérieux coup de frein aux relations politiques et commerciales des deux pays. Etrangement, cet incident se produit la veille de la visite du ministre des Affaires étrangères russe, Sergueï Lavrov, prévu en Turquie.

La confrérie Gülen ayant mal digéré la victoire de l’AKP, parti de Recep Tayyip Erdogan, aux législatives du 1er novembre 2015 tente d’accabler celui-ci via ses medias. Ainsi le journaliste de Zaman , Abdullah Bozkurt a tweeté le 25 novembre 2015 que c’est le premier ministre Ahmet Davutoğlu qui a personnellement donné l’ordre au général en chef d’abattre les jets venant de Syrie.

Le 1er janvier 2016, le gouvernement russe officialise les mesures de rétorsion économiques contre la Turquie. La tension entre la Russie et la Turquie s’apaise le 29 juin 2016, après un contact direct entre le président russe Vladimir Poutine et son homologue turc Recep Tayyip Erdogan s’engageant  à normaliser les relations bilatérales.

Les États-Unis via le réseau du prédicateur Fethullah Gülen essayent de faire tomber Recep Tayyip Erdoğan lors de la tentative de coup d’État du 15 juillet 2016. En effet, les États-Unis ont mis à disposition leur base américaine à İncirlik dans le sud de la Turquie pour que les pilotes Gülenistes puissent décoller et frapper le parlement turc. Le putsch est avorté grâce à l’appelle du président qui a demandé à son peuple de sortir dans la rue pour défendre la démocratie.

Quand Ankara réclame l’extradition de Fethullah Gülen, réfugié dans sa résidence sous bonne protection américaine en Pennsylvanie, les États-Unis  refusent. Suite au coup d’État avorté  bizarrement c’est encore l’économie Turque qui en fait les frais, le commerce n’aime visiblement pas l’instabilité politique.

Fin octobre 2016, le pasteur évangélique américain Andrew Brunson  est arrêté à Izmir, en Turquie alors qu’il tentait de quitter le pays. il est soupçonné de terrorisme à cause de ses relations avec le PKK/YPG en Syrie et le groupe du prédicateur Fethullah Gülen en Turquie et aux États-Unis.

L’entente entre la Turquie et la Russie est au beau fixe alors la confrérie Gülen revient à la charge. Mevlüt Mert Altintas, 22 ans, ouvre le feu sur l’ambassadeur russe en Turquie, Andreï Karlov alors qu’il prononçait un discours lundi 19 décembre 2016 dans une galerie d’art d’Ankara. Mais cette fois-ci la mayonnaise ne prend pas . Vladimir Poutine  ne se fera pas berner une seconde fois.

Eté 2018, Donald Trump voit les élections de mi-mandat du 6 novembre s’approcher à grands pas et il a besoin du vote des évangélistes  pour espérer un second mandat. Néanmoins ces derniers réclament la libération d’Andrew Brunson en échange de leurs voix et de leur allégeance. Trump menace la Turquie mais la justice turque  rejette le 31 juillet la demande de mise en liberté du pasteur américain, en prison depuis 21 mois.

Le 1er Août la porte-parole de la maison blanche Sarah Sanders annonce que les États-Unis ont mis en place des sanctions contre les ministres turcs de la Justice  Abdülhamit Gul et de l’Intérieur Süleyman Soylu.

Le 10 août, le président américain Donald Trump annonce une forte augmentation des droits de douane sur l’acier et l’aluminium importés de Turquie aux Etats-Unis. La devise turque s’échangeait à 6,95 pour un dollar le 13 aout 2018.

Trump va perdre les élections et le coupable est Erdoğan. İl faut lui donner le coup de grâce avant la fin de l’année et son ami le prince d’Arabie Saoudite, MBS, va lui donner un coup de main. À eux deux ils vont faire d’une pierre deux coups. Erdoğan a la réputation de malmener les journalistes et il faut s’en servir. Trump va se débarrasser d’Erdoğan et MBS, d’un journaliste qui est une épine dans le pied, voilà pourquoi Jamal Khaghoggi  doit mourir en Turquie.

 Jamal Khaghossi arrive à Istanbul

Le 27 septembre, Khaghoggi arrive au consulat du Royaume d’Arabie Saoudite d’Istanbul en compagnie de sa fiancée. İl réclame la transcription de divorce mais on lui dit qu’il doit revenir le 2 octobre pour pouvoir le retirer. Jamal Khaghoggi  n’est pas un étranger qui vient retirer un visa mettant plusieurs jours à être délivré mais un ressortissant saoudien qui fait une simple demande de transcription pouvant être faite en quelques minutes. Au pire après sa demande, le précieux document pouvait lui être envoyé par courrier. Ce délai de quatre jours était nécessaire pour constituer l’équipe qui devait arriver en Turquie.

Le 2 octobre, à 13h le journaliste arrive devant le consulat en compagnie de sa fiancée Hatice Cengiz et lui demande d’appeler les autorités turques s’il n’en ressort pas dans les deux heures qui suivent. İl lui donne son téléphone portable et lui demande de le transmettre à des experts s’il venait à se faire enlever ou tuer. Le journaliste est très prudent car MBS a réussi à faire arrêter plusieurs princes saoudiens pour pouvoir un jour accéder au trône et ce n’est pas un journaliste évaporé dans la nature qui le dérangerait. Et pourquoi ce délai de deux heures et non pas trois heures ou quatre heures me direz-vous ? Simplement car le consulat ferme a 15 h.

Jamal Khaghoggi entre au consulat à 13h14 et sera assassiné quelques minutes plus tard. Son corps sera ensuite conduit vers 16h00 au domicile du consul, à quelques pâtés de maisons du consulat.

Le commando arrive pour faire disparaître le corps du journaliste

Une équipe de 15 personnes arrive le jour même soit par le jet privé HZSK1 ou HZSK2 et quelques-uns par ligne régulière.

L’équipe est composée de;

  1. Salah Mohammed Tubaigy (Médecin légiste de profession, diplômé de l’Université de Glasgow)
  2. Maher Abdulaziz M.Muteb (Officier des services secrets saoudiens)
  3. Abdulaziz Mohammed M. Alhawsawi (Membre de la garde rapprochée de MBS)
  4. Meshal Saad M. Albostani (Lieutenant des forces armées saoudiennes et garde du corps au sein de la Garde royale)
  5. Thaar Ghaleb T. Alharbi (Ex Lieutenant de la garde royale)
  6. Turki Muserref M. Alsehri
  7. Saif Saad Q. Alqahtani (En relation direct avec le prince MBS)
  8. Badr Lafi M. Alotaibi (Membre de la garde royale)
  9. Mohammed Saad H. Alzahrani (Membre de la garde royale)
  10. Khalid Aedh Alotaibi (Membre de la garde royale)
  11. Naif Hassan S. Alarifi (Employé de la couronne saoudienne et membre des forces spéciales)
  12. Mustafa Mohammed M. Almadani (Employé présumé des services secrets saoudiens)
  13. Waleed Abdullah M. Alsehri (Membre des forces aériennes saoudiennes)
  14. Mansour Othman M. Abahussain (Membre des services secrets saoudiens et colonel au sein de la direction de la défense civile saoudienne)
  15. Fahad Shabiba A. Albalawi (Membre de la garde royale)

 

Ils sont tous repartis le jour même après avoir accompli leur sale besogne.

Ne voyant pas Jamal Khaghoggi ressortir du consulat Hatice Cengiz prévient les autorités turques qui questionnent alors le consul. Dans un premier temps ce dernier déclare qu’il est sorti. Les services turcs expliquent qu’il y a des caméras autour du consulat et qu’on ne le voit pas par repartir. Les Saoudiens montrent alors des images où l’on voit effectivement Jamal Khaghoggi quitter le bâtiment, mais les Turcs ne sont pas dupes, ces images datent du 27 septembre, pour preuve Hatice Cengiz et en sa compagnie or le 2 octobre 2018 elle n’est pas entrée dans le bâtiment. Alors le consulat répond que les caméras de surveillance ne fonctionnaient pas ce jour précisément.

Une piste audio du meurtre

Hatice Cengiz, donne aux autorités sa dernière preuve, un enregistrement audio de la mort de Jamal Khaghoggi . Mais d’où sort cet enregistrement? les services secrets turcs auraient-ils mis sur écoute  le consulat d’Arabie Saoudite? Non, souvenez-que le journaliste avait donné son téléphone à sa fiancée. Il  portait sur lui une montre connectée qui enregistrait tout depuis son entrée dans le consulat et transmettait directement sur le Cloud de son téléphone.

Le plan était que le journaliste saoudien meurt sur le sol turc, que les services saoudiens  enquêtent (comme ils l’avaient proposé) avec leurs homologues afin de retrouver le corps. Une fois le corps retrouvé, l’Arabie Saoudite allaient lancer des représailles contre la Turquie, en soutien à son ami MBS, Donald Trump aurait emboîté le pas. Erdogan serait accusé d’être un meurtrier et la livre turque la monnaie nationale atteindrait des sommets suite aux différentes sanctions.

Donald Trump pensait que changer de partenaire pourrait changer la donne mais il n’en a pas été ainsi. MBS est aussi mauvais que Fethullah Gülen dans la déstabilisation de la Turquie.

 

Fatih Tufekci