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Loi contre le séparatisme : Une menace pour les libertés associatives ?

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Vingt-cinq associations de défense de l’environnement et de la lutte contre la corruption, dont France Nature Environnement, Greenpeace France et Transparency International France, ont saisi le Conseil d’Etat, le 2 mars dernier, déposant un recours contre le « volet républicain » de la loi contre le séparatisme.

En effet, dans un communiqué de presse commun, ces associations dénoncent « des atteintes disproportionnées et déconnectées aux libertés associatives » concernant « la loi confortant le respect des principes de la République » connue sous le nom de « la loi contre le séparatisme ».

Celle-ci avait été adoptée le 23 juillet 2021 par l’Assemblée nationale, après plusieurs mois de débats parlementaires après que certains politiques voulaient rajouter encore plus d’amendements pour durcir la loi, et validée le 24 août par le Conseil constitutionnel.

Par la suite, se basant sur cette loi, un décret du 31 décembre 2021 détermine le contenu du contrat d’engagement républicain des associations et des fondations bénéficiant de subventions publiques ou d’un agrément de l’Etat, fixe ses modalités de souscription et précise les conditions de retrait des subventions publiques.

C’est justement ce volet qui stipule que « toute association sollicitant une subvention publique et un agrément doit s’engager à souscrire un contrat d’engagement républicain » que ces associations veulent attaquer devant le Conseil d’Etat.

Menaces sur la liberté d’association

Ainsi, ces 25 associations estiment « que la loi menace notamment l’action en justice des associations de défense de l’environnement et de lutte contre la corruption ».

« Les requérants appellent à un ultime sursaut en faveur de la liberté d’association et d’expression », peut-on lire dans le communiqué de presse.

Le décret stipule en effet que « tout manquement aux dispositions du contrat expose l’association à la perte de ces aides et agréments ». En réalité ce qui dérange ces requérants c’est que « ces dispositions floues, au prétexte de lutter contre des risques de séparatisme, puissent exposer les associations, dont certaines reconnues d’utilité publique, à des décisions arbitraires de la part de l’administration et des collectivités territoriales ».

Actions « contraires à la loi »

En effet, ce contrat prévoit notamment que les associations « ne doivent entreprendre ni inciter à aucune action manifestement contraire à la loi », alors que les associations considèrent « la désobéissance civile comme un moyen historique et puissant d’expression et de manifestation dans les milieux associatifs ».

« Ces actions indispensables sont désormais soumises à des risques juridiques particulièrement dissuasifs en raison du contrat d’engagement républicain », s’inquiètent les associations.

Pour les associations « de telles atteintes à la liberté d’association, d’expression et de manifestation, pourtant consacrées par les textes internationaux, sont disproportionnées et déconnectées de l’objectif affiché de la loi ». Elles rappellent qu’au-delà des associations concernées, « de vives critiques ont été formulées en ce sens, notamment par la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), qui recommandait l’abandon pur et simple de ce contrat ». Elles regrettent pourtant que « le Conseil constitutionnel soit malheureusement resté sourd à ces appels ».

Considérant que « l’espace civique est mis à rude épreuve et l’action des associations, que ce soit dans la rue ou dans les tribunaux, se trouve ainsi fortement menacée », ces associations ont décidé de « former un recours devant le Conseil d’État ».

Elles espèrent que la plus haute juridiction française garantisse la liberté d’association, d’expression et de manifestation « tout en reconnaissant pleinement ces droits fondamentaux et le rôle de ces associations qui permettent l’engagement des citoyens sur des sujets d’intérêt général ».

Les Français de confession musulmane dans le collimateur

Il faut dire qu’au départ, la loi contre le séparatisme semblait viser une toute autre frange. « L’offensive gouvernementale, lancée le 3 octobre 2020 dans la ville des Mureaux, contre le séparatisme a eu pour effet de criminaliser non seulement la frange militante des Français de confession musulmane – depuis les salafistes jusqu’aux militants des ONG humanitaires ou de défense des droits de l’homme – mais bien la quasi-totalité de ceux qui, fût-ce dans le respect parfait des exigences de la laïcité, ont pour seul défaut de ne pas avoir abandonné la pratique de leur foi », explique le politologue François Burgat à l’Agence Anadolu.

« Il faut faire attention à ce que d’autres religions ne soient pas les victimes des modifications souhaitées pour vous [les musulmans, ndlr] », a récemment déclaré, lors d’une réception à la Grande Mosquée de Paris, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, relayé par le journal Libération au mois de septembre 2020, soit un an avant la promulgation de la loi.

Depuis, plusieurs associations humanitaires de défense des droits de musulmans, des dizaines de mosquées, des commerces, des écoles et d’autres organismes appartenant à la communauté musulmane ont été fermés par le gouvernement sur la base de cette loi séparatisme. Pourtant, toutes ces associations et organismes avaient scandé haut et fort que « les décisions étaient arbitraires, contraire à la liberté d’expression et d’association et que le gouvernement voulait faire du sensationnalisme dans une période de campagne électorale ».

« Faire taire » les associations

De son côté, Erwan Le Morhedec, Auteur de « Fin de vie en République – Avant d’éteindre la lumière » (2022), prévenait aussi que cette loi allait permettre de « faire taire » les associations.

« La loi séparatisme promet d’être un nid à contentieux. Dès qu’une municipalité ou une autorité publique quelconque sera en désaccord avec l’action d’une association, elle se saisira du critère de l’ordre public pour la faire taire, et il faudra aller contester les décisions ».

Erwan Le Morhedec

« Quand on commence à rentrer dans une logique de restriction des droits, ça nous concerne tous ! La loi « séparatisme » d’Emmanuel Macron, pour mieux surveiller les associations de religion musulmane réduit la liberté de tous les citoyens », expliquait, pour sa part, lors d’une émission télévisée au mois de novembre 2021, le député Aurélien Tachet, élu sous l’étiquette du parti présidentiel avant de claquer la porte.

L’historien Fabrice Riceputi, lui, estime que le choix du mot « séparatisme » n’est pas anodin. « Suis dans les archives de surveillance coloniale en Algérie. Fascinant de voir que le terme séparatisme a été inventé dans les colonies pour désigner la volonté de liberté des colonisés…. Il est alors d’usage courant dans la langue policière coloniale », explique, sur Twitter, l’auteur du livre « Ici on noya des Algériens ».