Lors de la 73ème session du conseil de sécurité de l’ONU, 3 chefs d’état se démarquent par leur discours. Trois discours foncièrement différents soulignant des centres d’intérêts divergents. La France aspirant à l’ouverture mondiale, les États-Unis affirmant leur hégémonie, la Turquie rejetant la suprématie des 5 membres permanents de l’ONU.
Macron ou l’appel au multilatéralisme
Monsieur Macron emporté par sa passion, en martelant l’hémicycle, exhorte les dirigeants mondiaux à enrayer la montée des nationalismes qui selon lui nourrissent les inégalités et avance ;
« Certains ont choisi la loi du plus fort. Mais elle ne protège aucun peuple. Nous choisissons une autre voie :le multilatéralisme. Je crois profondément à la souveraineté des peuples et, dans le même temps, à une coopération renforcée. Nous ne gagnerons au XXIe siècle qu’avec un multilatéralisme fort. Je ne crois pas à un grand peuple mondialisé, mais je crois en des valeurs universelles ».
Le président français se démarque d’ailleurs dans son approche quant aux relations avec l’Iran en prônant le dialogue avec Téhéran et en demandant à Trump de lever l’embargo sur les ventes de pétrole iranien. Lors d’une conférence de presse, il a lancé ;
« Il serait bon pour le prix du pétrole que l’Iran puisse vendre! C’est bon pour la paix et bon pour le cour mondial du prix du pétrole ».
L’accord de Paris sur le climat étaient aussi a l’ordre du jour du Président français qui en appelle à ne plus signer d’accords commerciaux avec les puissances qui ne respectent cet accord.
Pour finir le chef d’Etat a annoncé la couleur du prochain sommet du G7 qui se tiendra à Biarritz, l’été 2019 où la priorité sera “la lutte contre les inégalités”. Il dit aussi souhaiter “revoir en profondeur” le format du G7 en l’ouvrant à de nouveaux pays sans pour autant citer de noms.
Trump : la virulence et l’incohérence au rendez-vous
Le chef d’état américain, tel une star de stand-up, a déclenché l’hilarité de son auditoire lors de son exposé pro domo où toutes dents dehors il affirme;
« En moins de 2 ans mon administration a accompli pratiquement plus que n’importe quelle administration dans l’histoire de notre pays ».
Ce climat bon-enfant se dégradera tout au long de sa diatribe qui deviendra crescendo violent. Depuis la création des Nations unies en 1945, l’hémicycle n’a jamais été témoin d’autant de violence dans un discours. Cela va s’en dire que Trump n’a pas dérogé à sa suffisance lorsqu’il a fait les éloges d’une Amérique protectrice, bienveillante et généreuse face à certains “États voyous”. Par ce concept, il désigne l’Iran, la Corée du Nord et la Chine, il n’a rien inventé puisque cette expression a été utilisée pour la premiere fois par Ronald Reagan qui parlait “d’états hors la loi”.
Trump qui prône la souveraineté américaine et une politique protectionniste promise à son électorat annonce lors de son discours:
- Le durcissement de l’embargo iranien dès novembre, arguant de l’instabilité instaurée par cette “dictature corrompue” au Moyen-Orient.
- Le maintien des sanctions contre la Corée du Nord jusqu’à la dénucléarisation.
- Une “réponse” américaine en Syrie en cas de nouvelle utilisation d’armes chimiques.
- Des représailles économiques à l’égard de la Chine qui crée un déséquilibre commercial.
Erdogan : “le monde est plus grand que 5 pays”
Lors de son discours, le président turc a accusé l’ONU de rester silencieuse face aux oppressions dans le monde et de ne servir les interêts que de ses 5 membres permanents qui sont la France, la Chine, les États-Unis, le Royaume-uni et la Russie ;
« L’ONU a plusieurs réussites dans son passé de 73 ans, mais il est clair qu’elle est, maintenant, loin de satisfaire les attentes de l’Humanité concernant la paix et la prospérité. Le Conseil de sécurité de l’ONU est devenu un organe qui sert les intérêts de ses 5 membres disposant du droit de veto, et se taisant face aux oppressions vécues dans le monde ».
Erdogan concernant les crises humanitaires rappelle que la Turquie a dépensé 32 milliards de dollar pour les réfugiés syriens jusqu’aujourd’hui et déplore l’inertie mondiale à ce sujet ;
« En revanche, nous avons reçu un soutien de 600 millions de dollars des organisations internationales, et 1,7 milliards d’euros de l’UE. Nous souhaitons que la Turquie, qui a empêché un afflux migratoire vers l’Europe, soit d’avantage soutenue ».
Le président a aussi abordé la crise syrienne, se félicitant de l’accord de Sotchi qui a permis d’empêcher les attaques sanglantes du régime syrien contre la zone d’Idleb. Il soulignera avec insistance que le but est de nettoyer des terroristes le territoire syrien et critiqué les pays qui ont fourni des armes aux terroristes en notant qu’ils en souffriront sûrement un jour, eux aussi.
Erdogan a aussi mis en garde contre l’organisation terroriste FETO qui avait tenté un coup d’état militaire le 15 juillet 2016 ;
« J’appelle tous les pays à être vigilant contre l’organisation terroriste FETO, et à passer à l’action car FETO reçoit 763 millions de dollars de subvention du budget américain tous les ans via des écoles dans 27 États américains ».
Il propose la création d’une organisation de l’ONU pour la jeunesse dont le le centre serait Istanbul.
Le président Recep Tayyip Erdogan a finalisé son discours en se penchant sur les questions commerciales et économiques ;
« Nous ne pouvons pas rester silencieux face à l’utilisation des sanctions économiques comme des armes, et à l’annulation arbitraire des accords commerciaux, nous devons travailler ensemble pour empêcher que l’ordre commercial mondial ne soit détérioré par des décisions unilatérales ».
Trump antithèse de Macron et d’Erdogan?
- Le président français, qui a pris la parole après le discours de Trump, donne l’impression de répondre à ce dernier en le contrant point par point de manière véhémente et passionnée et ce n’est qu’a demi-mot qu’il menace les États-Unis de sanctions commerciales si Trump ne signe pas l’accord de Paris concernant le climat. Toujours sans prononcer le nom de Trump, il appelle ce dernier à résoudre la crise iranienne par le dialogue et non par le durcissement des sanctions comme il l’a annoncé. Enfin, il fera remarquer à Trump, partisan de la souveraineté nationale et du protectionnisme, de manière ironique que :
« L’unilatéralisme nous conduit directement au repli et aux conflits, à la confrontation généralisée de tous contre tous au détriment de chacun, même celui à terme qui se croit le plus fort ».
- La toile et un certain nombre de journaux avaient interprété la sortie d’Erdogan de l’hémicycle comme une protestation au discours de Trump, ce qui a été démenti rapidement par Ragip Soylu, correspondant de Daily Sabah à Washington, sur son
Erdogan didn’t leave the UN chamber when Trump started to speak. That’s false.
Erdogan was scheduled to speak right after Trump. So he had to move to the back stage
— Ragıp Soylu (@ragipsoylu) September 25, 2018
Twitter où il précise que le président est sorti pour préparer son discours qui devait suivre celui de Trump. Néanmoins, Erdogan s’attaque directement aux membres permanents de l’ONU en affirmant qu’on ne peux réduire le monde à ces 5 nations. A demi-mot, il affirme que le jour viendra où les groupuscules terroristes que les États-Unis soutiennent se retourneront contre eux. Il appelle toutes les nations à faire pressions sur ceux qui utilisent les sanctions économiques comme armes pour arriver à leurs fins, sous entendant certainement l’attaque économique de Trump dépréciant la lire turque face au dollar.
Il reste à voir si tous ces discours auront des répercutions sur la politique mondiale dans les mois à venir. Créée à la fin de la seconde guerre mondiale, dans le but de gérer les crises entre les nations, sommes nous encore en droit de croire que l’ONU tient son rôle ou n’est-ce que pure utopie?
Aydanur Tufekci