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La France seule contre tous dans son combat pour une laïcité excluante

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Alors que le parlement français a entamé des discussions sur le projet de loi « confortant les principes républicains » de nombreuses voix s’élèvent contre la France pour demander la fin des lois liberticides.

En effet, de nombreuses associations, personnalités et organisations internationales tentent de faire raisonner le gouvernement mais aussi les députés de l’opposition.

Mais ces appels restent pour le moment sans réponses et la France se retranche derrière une perception d‘une laïcité intransigeante.

Pourtant, d’après ces organisations internationales, c’est bien le gouvernement, les députés, les sénateurs qui font fausse route.

Ainsi, Jean-Marie Burguburu, président de la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme (CNCDH) estime, par exemple, que « cette loi va à l’encontre des objectifs affichés tout en diffusant un climat de méfiance, tout en proposant des mesures incomplètes, disproportionnées voire dangereuses pour les libertés ».

Liberté de religion bafouée

En décembre dernier, une dizaine d’organisations internationales comme « Advocates International », la Ligue des Droits de l’Homme (LDH) et « International Christian Concern » avaient publiquement appelé Macron à abandonner la loi sur le « séparatisme ».

« En outre, les déclarations faites par les membres de votre gouvernement après votre discours, renforcent la conviction que les mesures proposées violeront les engagements internationaux de la France en matière de liberté de religion ou de conviction »

les signataires INTERNATIONAUX

Au mois de mars, un collectif d’une vingtaine de personnalités de quatorze nationalités et d’horizons différentes, s’inquiétaient du « recul de la démocratie en France ».

Selon les auteurs, « outre le piège évident qu’elle représente pour la démocratie française, cette loi contre le séparatisme, ainsi que la loi sécurité globale, constituent des menaces pour la liberté dans le monde ».

A l’instar de nombreux acteurs musulmans et non musulmans en France, Amnesty International fustigeait également le « contexte de discours stigmatisant relatif aux personnes musulmanes et à l’islam et craint que cette loi ne soit appliquée de façon discriminatoire », dans un avis publié le 29 mars sur son site internet.

« Ce projet de loi laisse la porte ouverte aux abus et met en danger les libertés d’expression et d’association, que les autorités françaises affirment pourtant vouloir protéger », soulignait encore Marco Perolini, chargé de recherche sur l’Europe à Amnesty International.

C’est pourquoi Amnesty demandait que « les nombreuses dispositions de ce texte qui posent problème soient supprimées ou modifiées ».

Les ennemis de l’intérieur

Malgré les tentatives de raisonnement de la part des instances reconnues mondialement et qui font un travail formidable pour les droits de l’homme dans le monde, les membres du gouvernement, notamment Gérald Darmanin et Marlène Schiappa, persistent à défendre le projet de loi, donnant libre cours à la parole islamophobe de la part des médias et des politiciens.

En octobre 2019, les sénateurs avaient déjà tenté d’interdire aux femmes voilées d’accompagner leurs enfants dans les sorties scolaires. Lors des séances parlementaires, le sénateur Jean-Louis Masson avait déclaré dans la tribune du Sénat : « On pleure misère sur la mère de famille, la pauvre, etc. Elle n’avait qu’à ne pas mettre son voile y’aurait pas eu de problème. […] On n’a qu’à sortir des sorcières d’Halloween en voyages scolaires […] Qu’ils retournent d’où ils viennent ».

A l’époque, la proposition avait été rétorquée par les députés, mais ce sujet revient tellement souvent qu’il risque de passer dans les prochaines années, vu la course islamophobe qui y règne.

D’ailleurs, le 30 mars, sur la chaine C-NEWS, Serge Federbusch, un politicien passé par le PS, puis par l’UMP avant de porter les couleurs du Rassemblement National aux dernières municipales de 2020 a affirmé que « toutes les femmes qui portent le voile sont des ennemies de la République ».

Ainsi, ce n’est plus « les islamistes », dont la signification demeure, d’ailleurs, ambiguë, mais c’est bien une simple citoyenne qui porte le voile qui est décrite comme « ennemie ».

Et qui dit ennemi dit forcément « la cible à abattre ».

Aujourd’hui, les vies de ces millions de femmes, de leurs enfants et de leurs familles sont en danger. Et c’est le discours des responsables politiques qui installe ce climat délétère en France.

Le Conseil de l’Europe s’inquiète des libertés

Face à une dérive autoritaire, le Conseil de l’Europe a dû aussi réagir pour rappeler à l’ordre le gouvernement français.

Dans un avis publié, le 31 mars, le Conseil d’experts sur le droit en matière d’ONG rattaché au Conseil de l’Europe s’inquiète vivement des restrictions dont ferait l’objet l’exercice de la liberté d’association en France, si le texte était adopté en l’état.

Ainsi, le Conseil rappelle à la France que « la Recommandation CM/Rec(2007)14 du Conseil de l’Europe, affirme que les ONG devraient être libres de recevoir des contributions provenant d’un autre État ou d’organismes multilatéraux ».

« L’instauration en France, pays hôte de l’organisation, d’un tel dispositif affaiblirait ces efforts en faveur de la sauvegarde des liens des sociétés civiles avec le monde extérieur », préviennent encore les experts.

En réalité le Conseil s’inquiète des dérives autoritaires. En effet, le gouvernement tente de faire croire qu’il s’agit avant tout de contrôler les financements des mosquées. Mais, une loi ne pouvant être spécifiquement pour une catégorie de personnes, concernera, de facto, toutes les associations notamment celles qui reçoivent des dons de l’étranger.

« Une pareille évolution législative risquerait, donc, au plan interne, de faire émerger dans le débat public un questionnement délétère sur la légitimité et la loyauté des ONG financées de l’étranger ».

En clair, des associations comme « Amnesty International » risqueraient de se retrouver sans fonds, du jour au lendemain, et d’être accusée de connivence avec une intelligence étrangère, par un gouvernement qui n’aimerait pas les travaux de l’association.

Dissolutions arbitraires

Le Conseil d’experts se dit ensuite préoccupé par l’extension des motifs de dissolution administrative des associations. Il estime que « le texte n’encadre pas suffisamment les pouvoirs de l’administration pour éviter des liquidations arbitraires d’associations. Il en découle un régime reposant sur des conditions trop imprécises ». On pourra ainsi citer l’exemple de la dissolution du Collectif Contre l’Islamophobie en France (CCIF) et de l’ONG humanitaire Barakacity, victimes de ces décisions arbitraires.

Enfin, le Conseil d’experts s’inquiète de l’obligation qui serait faite à toute association subventionnée par une collectivité publique de signer un « contrat d’engagement républicain ».

Ils estiment que cela peut « dissuader des associations d’exprimer des vues ou de mener des actions qui, bien que protégées par la Convention européenne des droits de l’homme, pourraient être perçues défavorablement par l’administration ». On s’en souviendra de l’épisode des enfants de 10 ans retenus pendant des heures lors des cours sur la liberté d’expression « pour avoir exprimé leurs points de vue ». (1)

Malgré ces rappels, et le risque de la disparition du pluralisme, le gouvernement semble poursuivre dans cette voix.

L’arrivée des échéances électorales, la perspective d’un deuxième tour contre Marine Le Pen, le besoin des voix d’une partie des électeurs de l’extrême droite pour se maintenir au second tour n’aide vraiment pas à une approche rationnelle.

Il faut se rappeler que la France est un pays démocratique qui reconnaît et respecte la diversité et la dynamique des traditions culturelles, des identités ethniques et culturelles, des convictions religieuses, et des idées et concepts socio-économiques.

Mais il semble que le gouvernement a choisi d’imposer une laïcité excluante au risque de dégrader encore un peu plus non seulement la cohésion sociale mais aussi les relations avec d’autres pays.