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La Turquie applique le « et en même temps »

Fin juillet, les dirigeants des pays du groupe BRICS, réunis en Afrique du Sud, ont accueilli un certain nombre d’invités de pays tiers, preuve des efforts délibérés du groupe pour créer un mécanisme efficace de coopération avec d’autres pays en développement. L’un de ces invités était le président de la Turquie, Recep Tayyip Erdoğan, qui représentait non seulement son pays lors du sommet, mais s’est également rendu à Johannesburg en tant que président en exercice de l’Organisation de la coopération islamique.

Erdoğan Le Président turc, Recep Tayyip Erdogan, a appelé les dirigeants des Brics à autoriser son pays à rejoindre ce groupe formé par cinq États (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud). Le BRICS devrait évoluer pour que la Turquie puisse devenir membre à part entière. Ainsi le nouveau nom pour le groupe qui pourrait être utilisé lorsque la Turquie l’aura rejointe serait: BRICST

Pourquoi cet intérêt pour la BRICS?

Certes, le groupe BRICS à un certain poids à l’échelle mondiale compte tenu de la part des pays membres dans l’économie mondiale; cependant, ce n’est pas un cadre pour l’intégration économique, ce n’est même pas une organisation formelle.

Pourtant, c’est un groupe de pays aux vues similaires qui représentent non seulement un potentiel économique substantiel, mais aussi, et peut-être plus important, une critique partagée de l’équilibre des pouvoirs établi et de la forme actuelle de la gouvernance mondiale, perçue comme étant biaisée en faveur du monde occidental et ne reflétant pas les intérêts et les attentes des puissances émergentes du 21ème siècle.

Pour la Turquie, l’établissement de liens plus étroits avec ce groupe présente deux avantages.

Premièrement, les pays du groupe BRICS peuvent potentiellement stimuler considérablement les efforts de la Turquie pour diversifier ses relations économiques avec le reste du monde. L’économie turque traverse une période difficile, avec un déficit courant chronique, des conditions d’affaiblissement des exportations en raison de fortes instabilités dans le voisinage proche et une contraction globale de la demande dans l’économie mondiale, les conséquences du coup d’État manqué du 15 juillet 2016 et la guerre commerciale que des États-Unis impose.

Les États-Unis ont notamment créé une guerre commerciale via leurs taxes sur l’acier et l’aluminium.

 

  • L’Inde a imposé des droits de douane supplémentaires sur 30 produits américains dont des objets en métal, des produits agricoles et des motocycles, atteignant jusqu’à 50%.
  • Le 6 juillet les États-Unis en plus des taxes sur l’acier et l’aluminium ont imposé des droits de douane supplémentaires de 25% sur 818 produits chinois. Le ministère chinois des affaires étrangères mis immédiatement des mesures de rétorsion, des droits de douane complémentaires de 25% ont été imposés sur un montant « égal » de produits américains. Ces droits de douane chinois affecteront des produits agricoles américain dont le soja, très dépendant du marché chinois, le secteur automobile ou encore des produits de la mer comme les langoustes.
  • La Turquie s’est vue doublé les taxes sur l’acier et l’aluminium. En réponse, elle applique la réciprocité via un doublement des tarifs qui existaient jusqu’ici notamment sur une large gamme de produits, comme les véhicules de tourisme, dont les tarifs douaniers s’élèveront désormais à 120%, certaines boissons alcoolisées (140%), le tabac (60%) ou encore le riz et certains produits cosmétiques.

Fin juillet, la Russie a reçu de nouvelles sanctions votées par le Congrès américain en réponse elle réduit la présence diplomatique des États-Unis sur son sol à 450 le personnel de son ambassade et de ses consulats en Russie, et suspend l’utilisation par l’ambassade américaine d’une résidence en périphérie de la capitale russe et d’entrepôts.

La Turquie doit changer de stratégie et évoluer

Pour se repositionner sur une trajectoire de croissance durable, la Turquie doit améliorer sa compétitivité sur les marchés mondiaux. Du côté de l’offre, la valeur ajoutée de la production doit être augmentée et pour cela, des capacités technologiques plus importantes sont nécessaires. Du côté de la demande, la Turquie doit explorer de nouveaux marchés qui compléteraient ses destinations d’exportation traditionnelles telles que l’Union européenne.

Des relations plus étroites avec les pays du BRICS peuvent être utiles à cet égard particulièrement pour équilibrer sa balance commerciale avec eux. En 2017, la valeur des exportations de la Turquie vers les cinq pays s’est élevée à 7,3 milliards de dollars, alors que ses importations en provenance des mêmes pays se sont élevées à 53,4 milliards de dollars, entraînant un déficit commercial de 46,1 milliards de dollars. La même année, le déficit commercial global de la Turquie était de 76,7 milliards de dollars, ce qui signifie que 60% du déficit commercial de la Turquie était en réalité causé par les pays du BRICS.

Le gouvernement turc collabore actuellement avec le monde des affaires et le monde universitaire pour identifier les possibilités d’exportation vers ces pays et élaborer des feuilles de route pour accroître les parts de marché de la Turquie dans ce pays.

BRICS offre un marché potentiel pour les produits turcs, mais plus important encore, il est de plus en plus considéré comme une source de partenariat technologique. C’est pourquoi, par exemple, la Turquie a négocié l’achat d’un système de défense antimissile avec des fournisseurs chinois et russes potentiels dans des conditions de transfert de technologie et de coproduction, auxquelles les alliés occidentaux de la Turquie n’ont jamais été favorables.

À Johannesburg, Erdoğan a mentionné que pour la première centrale nucléaire du pays, la Turquie travaillait avec les Russes, pour la deuxième avec un consortium franco-japonais, pour la troisième avec les Chinois, et pour la quatrième centrale nucléaire prévue la décision finale n’est pas prise.

En résumé, la Turquie doit accroître ses capacités technologiques, ce qui nécessite une collaboration avec des partenaires disposant de la technique, et la Turquie souhaite éviter la vulnérabilité des pays occidentaux.

La deuxième raison pour laquelle la Turquie souhaite améliorer ses liens avec les pays du groupe BRICS est liée à la critique partagée de l’ordre du jour centré sur l’Occident. Le slogan d’Erdoğan «le monde est supérieur à cinq» fait référence au ressentiment selon lequel les affaires du monde sont confiées aux cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies. Il est vrai que deux des pays BRICS, la Russie et la Chine, ont effectivement un siège au CSNU, mais il devient de plus en plus évident que le conseil dans sa forme actuelle manque de capacité pour résoudre les problèmes du monde.

Dans d’autres domaines de la gouvernance mondiale, la fonctionnalité de l’Organisation mondiale du commerce est de plus en plus remise en question par les guerres commerciales, tout comme le Fonds monétaire international, par exemple, où les États-Unis sont les seuls à pouvoir opposer leur veto sur décision à prendre, si vous ne vous soumettez pas à l’impérialiste américain vous n’aurez pas l’argent du Fonds monétaire international (FMI).

Bien que cela puisse sembler être une rhétorique anti-occidentale pour beaucoup, l’appel lancé ici n’est pas pour les BRICS de remplacer l’hégémonie occidentale dans une gouvernance mondiale par une version alternative de l’hégémonie, mais de se débarrasser de toute hégémonie du système pour qu’il soit plus équitable, participatif et représentatif du monde d’aujourd’hui, défini par une interdépendance croissante entre les pays. Un monde multipolaire qui se débarrasserait des humeurs des États-Unis donc Trump est le parfait représentant. Pour la Turquie, le BRICS offre la plate-forme idéale pour faire valoir ses arguments, se faire entendre et susciter une action collective.

La Turquie renforcerait la BRICS en la rejoignant et en contre-parti le groupe pourrait soutenir la vision de la Turquie pour un nouvel ordre mondial multipolaire.

La Turquie applique le « et en même temps »

Il ne s’agit pas de remplacer les liens occidentaux du pays avec les BRICS ou tout autre acteur non-occidental, il s’agit de tirer des forces de chacun, d’établir et de maintenir des avantages mutuels et d’être véritablement mondial.

N’écoutez pas les faux experts qui vous déclare « l’axe de la Turquie se déplace vers le… ».

La Turquie est un partenaire commerciale de l’occident et en même temps de la BRICS.

La Turquie est membre de l’OTAN et en même temps collabore avec la Russie et la Chine.

La Turquie est candidate pour entrer dans l’Union Européenne et en même temps candidate à Organisation de coopération de Shanghai (OCS).

La Turquie est partenaire de l’occident et en même temps membre de l’Organisation de la coopération islamique (OCI).

 

Fatih Tufekci