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Le silence assourdissant des médias français face à la dérive sécuritaire du régime marocain

La journaliste marocaine Hajar Raissouni et Rifaat al-Amin ont été arrêtés le 31 août alors qu’ils quittaient le bureau d’un gynécologue à Rabat, la capitale marocaine. Ils ont été accusés d’avoir eu des relations sexuelles hors mariage et Hajar Raissouni accussée d’avoir subi un avortement, des faits pénalisés au Royaume Marocain.

Le lundi 30 septembre, la jeune journaliste marocaine de 28 ans, comparaissait pour la première fois en présence de son fiancé, un professeur universitaire d’origine soudanaise, son gynécologue et un anesthésiste devant un tribunal, en état de détention provisoire.

Hajar Raissouni préparait avec son fiancé Rifaat al-Amin leur mariage dont la célébration était prévue le 14 septembre. Elle a notamment déclaré au tribunal être mariée religieusement à son fiancé, et attendre des documents de l’ambassade du Soudan pour officialiser l’union. L’Union religieuse étant reconnue au Maroc, cette affaire aurait dû s’arrêter là.

Mais accusés de « relations hors mariages » et « d’avortement illégal », la journaliste a été condamnée le 30 septembre 2019, à un an de prison ferme comme son fiancé ; son gynécologue et l’anesthésiste ont quant à eux écopé d’une peine de 2 ans et 1 an de prison ferme, l’assistante qui les accompagnait à 8 mois avec sursis.

Le médecin, accusé d’avoir pratiqué un avortement s’est défendu en expliquant avoir pratiqué une intervention urgente après que sa patiente a présenté une hémorragie. Il a donc sauvé la vie de la journaliste qui était, au même moment, surveillée par les services de renseignement marocains.

Hajar Raissouni travaille pour le quotidien Akhbar al-Yaoum, l’une des rares sources d’informations indépendantes au Maroc. Le journal et ses journalistes se sont souvent retrouvés devant les tribunaux à se défendre d’accusations fallacieuses portés par la police au service du Makhzen.

En 2018, le fondateur du quotidien a été condamné à 12 ans de prison pour agression sexuelle, dans le cadre de poursuites judiciaires jugées douteuses et non fondées par un groupe de travail du Conseil des droits de l’homme des Nations-Unies, dénonçant une “ détention arbitraire.

Ce qui a poussé les services de renseignement marocain à faire suivre Hajar Raissouni et à la piéger par la suite, c’est sa couverture des manifestations du *Hirak Marocain, dans le Rif, qui ont menées à l’arrestation de plusieurs centaines de manifestants. Depuis plusieurs années, journalistes et militants font l’objet de surveillance constante.

Hajar Raissouni a été arrêtée devant la clinique de son gynécologue par des policiers marocains en civil et conduite dans un hôpital pour un examen gynécologique forcé extrêmement violent. La journaliste et son fiancé ont réfuté toutes les accusations et le gynécologue a apporté les preuves que sa patiente n’avait subi aucun avortement mais une opération gynécologique urgente liée à une hémorragie.

Cette immixtion dans la vie intime et privée d’une journaliste est d’un autre âge, et les faits pour lesquels elle est poursuivie sans preuves ont provoqué la colère de milliers de marocains sur les réseaux sociaux et un hashstag de soutien #FreeHajar (Libérez Hajar).

Le procès s’est ouvert lundi 9 septembre devant le tribunal de première instance de Rabat.

Le procureur du Royaume s’est défendu de mener un procès politique, prétextant une surveillance qui durait depuis plusieurs semaines sur la Clinique et le médecin gynécologue accusé de pratiquer des avortements illégaux. Sauf que le médecin n’a pas été reconnu à la sortie de la Clinique par les policiers en civil ; Ils n’ont procédé que plus tard à son arrestation, après celle de la journaliste et de son fiancé qui eux ont été arrêtés directement à la sortie de la Clinique.

Ces condamnations qui ont choquées au Maroc comme à l’étranger, arrivent dans un contexte où le *régime marocain (*Makhzen), a accentué sa répression contre les rares journalistes indépendants, des dissidents comme ceux du Rif (dont certains leaders ont été condamnés à 20 ans ferme).

Depuis le putsch militaire en 2013 en Egypte, le Maroc comme tous les pays du printemps arabe (Tunisie, Libye, Maroc…) ont connu un processus de retour sur les acquis démocratiques avec l’appui des dictatures du Golfe et à leur tête les Emirats Arabes Unis (EAU), via une stratégie de propagande orchestrée par Mohamed Bin Zayed, l’architecte de la guerre au Yémen et du rapprochement de certains pays du Golfe avec Israël. C’est aussi Mohamed Bin Zayed, surnommé « MBZ » qui finance les contre révolutions arabes en soutenant les juntes militaires, comme le putsch de 2013 en Egypte ou plus récemment les répressions des manifestations au Soudan.

Lors du printemps arabe, le roi marocain a évité le scénario égyptien ou tunisien en répondant rapidement au mouvement du 20 février avec une nouvelle constitution et une ouverture politique. Les avancés ont été minimales mais suffisantes pour faire croire au peuple à une « transition en douceur ». Des élections législatives ont été organisées en 2016 et le Parti de la Justice et du Développement (PJD) considéré comme « islamiste » mais surtout populaire et proches des populations les plus pauvres, a remporté le scrutin législatif avec 27,14% des voix à 7 points devant le second parti, le PAM (Partie authenticité et modernité).

Depuis 2013 et surtout après la victoire du PJD aux élections de 2016 et en dépit des efforts du pouvoir, le Makhzen a accéléré ses manœuvres pour écarter les islamistes (pourtant pro monarchie) : notamment en refusant de nommer le chef du PJD comme 1er ministre, en procédant à l’arrestation de journalistes, et en réprimant les mouvements sociaux.

La dictature émiratie utilise toute sa puissance financière pour écarter les « islamistes » et les pros démocratie. Le régime marocain semble vouloir lui embrayer le pas et envoyer un message clair à tous les journalistes qui tenteront de porter une autre voix que celle du Royaume marocain.

Hajar Raissouni paie très cher le prix d’être la nièce d’Ahmed Raïssouni, 65 ans, qui a succédé en 2018 à l’Égyptien Youssef al-Qaradawi à la tête de la puissante Union internationale des oulémas musulmans (UIOM), qui dérange à la fois les royaumes marocain, émirati et saoudien.

Les médias et bras du régime (comme ses soutiens en France) tentent dans un mouvement coordonné d’améliorer leurs images via des réformes cosmétiques qui ne répondent en rien aux attentes du peuple en termes de libertés individuelles, de liberté d’expression ou de droit de manifestation. Ces pays restent des dictatures, ou la pluralité d’opinion n’a pas cours.

En effet, au Maroc il y a des centaines d’avortements « illégaux » tous les jours, très peu de personnes sont poursuivies réellement et avec autant de zèle que dans le cas de Hajar Raissouni. Les services du Procureur du Royaume n’ont même pas pris la peine de prouver les faits ou de mener des réquisitions étayées par des faits lors de l’audience.

Le régime marocain accentue donc sa politique répressive et de réduction des libertés et semble préparer le terrain pour clore définitivement la parenthèse du printemps arabe lors des élections prochaines en 2021 en offrant la clé du Gouvernement au milliardaire Aziz Akhnouche proche du roi Mohamed VI, qui a construit sa fortune grâce à lui.

On peut noter les réactions quasi inexistantes voir très timides de la France envers cette répression grave contre des journalistes marocains. Quand on mesure avec les critiques virulentes adressées régulièrement à la Turquie par la France, cela peut surprendre.

Ce fût le cas aussi pour l’assassinat du journaliste du Washington Post Jamal Khashoggi, assassiné et démembré par les saoudiens dans leur ambassade d’Istanbul sur ordre du Prince saoudien « MBS » (Mohamed Bin Salman). D’ailleurs, la rapporteuse spéciale  à l’ONU sur les exécutions extrajudiciaires, Agnès Callamard a récemment fustigé Emmanuel Macron, Jean-Yves Le Drian et la France, sur les manœuvres mises en place pour empêcher l’enquête et les poursuites contre « le saoudien « MBS ».

Les médias français n’ont réagi que tardivement, après que la presse anglophone et notamment américaine se soit emparée de l’affaire Hajar Raissouni, grâce notamment à la voix de la journaliste du New York Times, Aïda Alami, qui a mobilisé ses confrères et consœurs journalistes sur Twitter.

Même si la presse écrite a fini par relayer l’affaire, nombreux sont les journalistes qui ont focalisé sur les accusations d’avortement et relations sexuelles hors mariage en faisant de cette affaire un cas de libertés individuelles, plutôt que de relayer la véritable histoire, le procès politique.

Ce qui doit nous interroger aujourd’hui c’est le fait que les médias ou la presse française se focalisent beaucoup sur le Qatar ou la Turquie (des centaines d’articles chaque semaine ou d’émissions télévisées, de livres ou de reportages) alors que les atteintes aux droits de l’homme ou la liberté de la presse au Maroc ne font que très peu l’actualité. Ni le Hirak marocain (Mouvement populaire) ni le Hirak algérien ne font la Une de nos médias. 

@desertup