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Turquie : il fut un temps où l’armée avait un programme politique

Le 28 février 1997, l’armée turque convoquait le Conseil Supérieur de la Sécurité en urgence afin d’exiger l’application par le gouvernement de 18 articles qui étaient censés protéger le régime mis en place par Mustafa Kemal Ataturk, fondateur de la République en 1923.

Or, à l’époque, le gouvernement de Necmettin Erbakan avait refusé ces injonctions considérant que l’armée n’avait pas s’immiscer dans la vie politique. Pourtant, le pouvoir de l’armée était encore considérable en cette période, poussant ainsi, le gouvernement a démissionné. Cette passe d’armes entre le gouvernement et l’armée est désormais connue sous le nom de « coup d’état post-moderne ».

Le chef du gouvernement de l’époque, Necmettin Erbakan, un homme très expérimenté en politique a tout tenté pour sauver la démocratie.

Anadolu, a retracé son portrait afin de mieux comprendre le processus qui a emmené les généraux à prendre la décision d’intervenir dans le domaine de la politique.

Necmettin Erbakan a été plusieurs fois ministre dans des gouvernements de coalition et d’union nationale. Il était vice-premier ministre lors de l’intervention de l’armée turque au Nord du Chypre. Cet enfant prodige qui avait obtenu le droit d’aller à l’université sans être soumis au concours d’entrée, l’avait quand même passé en obtenant un excellent score.

Copain d’école des défunts présidents Turgut Ozal et Suleyman Demirel, il n’avait pas l’intention de faire de la politique. Ingénieur en moteur, il était devenu le plus jeune maître de conférences à 27 ans à peine.

Gravissant, les échelles de la réussite un par un, il était devenu président de la prestigieuse Union des Chambres et des Bourses (TOBB) en 1969. Mais son désaccord, sur le sujet de la politique industrielle à mener, avec le premier ministre de l’époque, son ami Suleyman Demirel lui coûte sa place. Il décide de se lancer en politique en tant que « sans étiquette » avant de créer son propre parti Le parti de l’ordre national (MSP) la même année.

Obtenant de bons résultats aux élections, ses 4 partis (Milli Nizam Partis, Milli Selamet Partisi, Refah Partisi, Fazilet Partisi) successifs ont été dissolus soit lors de coups d’Etat soit par le Conseil Constitutionnel pour non-respect des lois de la révolution.

En décembre 1995, son troisième parti, le Parti de la Prospérité (Refah Partisi- RP) remporte les élections législatives avec 21.7% des voix. Il ne devient chef du gouvernement qu’en juin 1996 après les échecs des gouvernements de coalitions précédentes.

27 ans après ses débuts en politique, il accédait pour la première fois au poste de premier ministre. Pourtant, les milieux laïcs s’inquiétaient de sa nomination. Aussitôt, les médias prêtaient un agenda caché qui aura pour but d’ « islamiser » la société. Ses réussites économiques ou encore l’essor de l’industrie ne changeaient rien.

Rapidement, l’armée a affiché son désaccord avec la politique qu’il menait et l’a fait savoir en faisant rouler des chars en plein centre-ville de Sincan (district d’Ankara), chose qui était inhabituelle. Cela a été interprété par la presse turque comme « un message d’avertissement et de menace d’un éminent coup d’état ».

L’armée a continué ses interventions en invitant les journalistes turcs et exposant son point sur le respect des lois de la révolution (lois adoptées après la proclamation de la République). C’est dans ce climat très tendu que l’armée a convoqué le conseil de sécurité nationale en session extraordinaire le 28 février 1997. Pendant plus de 9 heures, soit la réunion la plus longue de l’histoire de la Turquie, les généraux ont tenté de persuader le premier ministre de signer la mise en œuvre de ses exigences. Erbakan n’a jamais signé mais trois mois plus tard, il a dû démissionner.

Afin de mieux comprendre cette ingérence de l’armée, Anadolu a souhaité rappeler quelques-un de ces 18 articles.

– La République de Turquie qui est un état démocratique, laïc et social ne doit pas permettre aux groupes de mener des actions anti-régime. Les lois de la révolution, protégées par l’article 174 de la constitution doivent être appliquées sans compromis. Le gouvernement doit mener une politique conforme à ces lois de la révolution.

– Les procureurs doivent agir immédiatement en cas du non-respect des lois de la révolution. Les confréries qui ne respectent pas ces lois doivent être fermés.

– Nous constatons l’encouragement du port du turban et des habits religieux. Il ne faudrait pas honorer ces personnes qui ne respectent pas la loi vestimentaire.

– Les politiques sur l’éducation nationale doivent être conforment aux lois de la révolution.

– L’école primaire doit être augmentée à 8 ans

– Les écoles religieuses d’Imam Hatip ont été créées pour répondre à un besoin de la société mais le surplus de ces écoles doit être transformé en école professionnelle. De plus, les écoles privées radicales doivent être rattachées au ministère de l’éducation nationale.

– La volonté d’affaiblir le régime turc par l’Iran doit être surveillée de près. Il faudra mener une politique qui empêchera cela.

– Il faut empêcher le recrutement par les mairies des officiers et des sergents exclus de l’armée pour radicalisme.

– Les chaines et surtout les radios qui véhiculent des messages anti-laïques doivent être pousser à se conformer à la constitution.

En février 1998, le Conseil Constitutionnel a ordonné la fermeture du parti de la prospérité pour atteinte à la laïcité. L’ironie du sort, Necmettin Erbakan est décédé le 27 février 2011 soit un jour avant l’anniversaire de ce conseil qui a stoppé son essor politique.

Même si certaines exigences avaient l’air de demandes légitimes, le fait qu’elles viennent de l’armée et non de partis politiques ou de l’opposition est considéré par la classe politique comme une atteinte directe à la démocratie.

Fatih Karakaya
Source AA