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Le repas laïc

De nombreux élèves de confession musulmane, catholique et juive mangent ensemble dans les cantines scolaires en France. Certaines communes prévoient un menu de « substitution » qui permettrait de satisfaire les exigences des élèves soucieux de ne pas manger de viande le Vendredi saint ou d’avoir un autre repas les jours où de la viande de porc est servie. D’autres communes jugent selon le principe de la laïcité que tous les élèves devraient avoir le même menu sans aucune différence fondée sur des prescriptions religieuses. Dans une circulaire édictée par le ministre de l’Intérieur en août 2011 rappelant les règles afférentes au principe de laïcité, il est précisé que « la cantine scolaire est un service public facultatif » et que, dans le cas d’une absence de réglementation précise, « il appartient à chaque organe délibérant compétent (conseil municipal pour l’enseignement primaire, conseil général pour les collèges et conseil régional pour les lycées) de poser des règles en la matière ».(1) On peut relever plus loin que les collectivités locales sont libres de mettre en place les menus qu’ils entendent et que l’établissement de menus qui répondraient à des prescriptions confessionnelles « ne constitue ni un droit pour les usagers ni une obligation pour les collectivités (cf. TA Marseille, 1er octobre 1996,n°96-3523, n°96-3524)». Il n’est donc pas possible d’imposer aux maires la mise en place d’un repas de substitution, de même qu’il n’est pas considéré comme illégal de faciliter à tous les élèves l’accès aux services de la restauration scolaire en tenant compte des diverses préférences individuelles. Dans la même circulaire, il est fait mention de l’ordonnance du Conseil d’Etat du 25 octobre 2002 où il n’a pas été considéré comme une atteinte aux droits fondamentaux le fait qu’une commune serve un repas de substitution dans ses cantines tout en s’abstenant de tenir compte « des prescriptions alimentaires en vigueur dans les autres cultes ».

En pratique, plusieurs communes proposent depuis bien longtemps des repas de substitution au porc le jour où celui-ci est servi, ou des repas sans viande ou végétariens permettant ainsi de respecter différentes recommandations religieuses. La ville de Strasbourg, sous régime des cultes reconnus, reste la seule grande ville de France à proposer dans les cantines dont elle a la gestion quatre menus différents dont un menu halal. Lors d’une rencontre avec l’adjointe au maire Françoise BUFFET, celle-ci a confirmé que la municipalité envisage également, dans le cas où elle trouverait un prestataire adapté, de mettre en place un menu casher pour répondre à certaines demandes de la communauté juive. Pour l’instant, des repas sans porc ou végétarien sont proposés à chaque fois que la viande de porc figure dans le menu.

Nous remarquons dans d’autres collectivités la préférence pour des repas « sans viande » ou « végétariens » comme menu de substitutions, plutôt que des menus « sans porc ». Cette pratique semble convenir à un bon nombre de communes.(2) Le député-maire Yves Jégo a lancé fin août 2015 une pétition en faveur d’un menu végétarien alternatif au menu quotidien et obligatoire dans toutes les cantines scolaires. Il affirme avoir trouvé une « solution relativement simple et totalement laïque » qui permettrait de répondre à toutes les attentes des parents, qu’il pense légitimes. Plus de 130 000 personnes ont signé cette pétition. Le maire de Montereau a déposé ensuite, le vendredi 9 octobre 2015, une proposition de loi à l’Assemblée nationale qui devra être votée par les députés puis les sénateurs. Il s’agira, selon lui, de sortir ce débat de l’affrontement religieux et de permettre un mode alimentaire « de plus en plus recommandé » et déjà pratiqué par de nombreuses personnes. En réalité, l’idée était déjà évoquée en mars 2015 dans une tribune publiée dans le journal Le Monde par plusieurs intellectuels: « […] le repas végétarien convient au plus grand nombre – musulmans, juifs, chrétiens, athées ou autres. […] Il conviendrait que cette alternative sans viande et sans poisson exclut (sic) le lait et les œufs, afin de satisfaire les végétaliens. Le plat végétarien, et à plus forte raison végétalien, est une solution laïque et œcuménique aux préférences alimentaires de chacun, qui a le mérite de représenter l’alternative la plus simple pour les collectivités locales qui ne peuvent satisfaire des contraintes et des préférences alimentaires multiples. Le repas végétarien réunit tout le monde»(3).

En choisissant de ne plus servir un repas végétarien ou sans viande, certaines communes comme Nantes, Nancy, Nice, Miribel, Sannois, Chasseneuil, Auxerre, Seyssel ou Bourg-en-Bresse, vont proposer une autre viande comme alternative à la viande du porc. Cette proposition ne conviendrait cependant toujours pas à certaines familles musulmanes et juives, qui ne mangeraient que la viande abattue selon les rites de leur religion. De plus en plus de villes décident de faire exception au fait de proposer une autre viande alternative à la viande du porc et de ne proposer aucun repas de substitution aux élèves qui en font la demande.(4) Dans ce sens, l’exemple de la ville de Chalon-sur-Saône a fait couler beaucoup d’encre depuis que le nouveau maire « Les Républicains » a annoncé, au nom du principe de la laïcité, la suppression du menu sans porc qui a été proposé dans cette ville pendant 31 ans. L’observatoire de la laïcité, organisme placé auprès du Premier ministre, a rappelé dans un communiqué publié le 17 mars 2015 que « la laïcité ne saurait être invoquée pour refuser la diversité de menus » et que l’offre de choix dans les cantines scolaires entre un menu avec ou sans viande « ne répond pas à des prescriptions religieuses mais à la possibilité pour chacun de manger ou non de la viande tout en empêchant la stigmatisation d’élèves selon leurs convictions personnelles ».(5) Il est donc vrai qu’en droit, comme l’a rappelé la circulaire ci-dessus, rien n’empêche la mairie de prendre cette décision. En effet, le tribunal a rejeté un recours en annulation (6) déposé par La ligue de défense judiciaire des musulmans qui s’opposait à cette décision. Le débat restant ouvert, certaines communes semblent osciller entre deux positions. À Avignon par exemple, le règlement dispose dans le paragraphe concernant les menus proposés dans les cantines que « la Ville d’Avignon n’est pas en mesure de prendre en compte les demandes individuelles formulées par les familles. Aucun repas ne sera servi en fonction de préférences gustatives, philosophiques ou religieuses ».(7) Plus loin, on peut lire : « Les familles souhaitant que leurs enfants consomment un repas sans porc doivent donc le signaler et cette information sera portée à la connaissance de la Direction des écoles, des enseignants et du personnel municipal afin que la prescription puisse être mise en œuvre ».

Les réponses apportées jusque-là par les communes sont révélatrices de la grande diversité de perception du principe de la laïcité. Le service de la cantine scolaire étant un service public facultatif, les collectivités territoriales répondent différemment aux demandes des familles concernant l’alimentation de leurs enfants. Malgré les recommandations ministérielles invitant à diversifier les menus proposés dans les cantines, une grande marge d’interprétation est laissée aux élus. Chacun interprète donc le principe de la laïcité de son propre point de vue. En effet, rien n’obligerait les maires à mettre en place ou à supprimer des menus de substitution. Le menu végétarien pour tous comme menu de substitution semble déjà convenir à de nombreuses collectivités territoriales. S’agirait-il véritablement d’un menu laïc ne répondant ainsi à aucune recommandation religieuse ou idéologique? Le judaïsme et l’islam prônent l’interdiction de manger de la viande de porc, avec des prescriptions précises concernant l’abattage de la viande. Certaines confessions chrétiennes connaissent aussi des règles associées au choix de la nourriture et à la recommandation du jeûne. Les enseignements bouddhistes, entre autres, interdisent de manger toute viande animale à l’exception du poisson. Faut-il alors considérer le végétarisme comme étant une pratique parfaitement neutre qui serait à distance égale de toutes les autres religions ou idéologies?

Le débat, parfois virulent, sur la prise en compte des demandes alimentaires spécifiques d’origine religieuse a été étudié sous l’angle de son traitement par les médias. Plus de soixante-quinze articles de la presse régionale ou nationale, depuis l’année 2013, ont été recensés. Il en ressort une réflexion sur les différentes notions de la laïcité, le vivre ensemble, et l’évolution des pratiques alimentaires de références religieuses dans les sociétés séculières. Nous serons tentés de conclure, après la lecture des différents articles qui traitent de ce sujet, que la restauration scolaire est un véritable lieu de socialisation et de vivre ensemble. Le repas servis dans ces lieux semble être un élément important qui peut diviser ou rassembler les différentes communautés. Il semble important de ne pas se limiter à prendre en compte les prescriptions alimentaires de la culture dominante. Un repas de substitution qui permet de manger ensemble, dans des assiettes différentes mais à la même table, permettrait sans doute de renforcer le respect des différences chez les nouvelles générations.

H.Bentabet (1) Circulaire du Ministre de l’İntérieur: Rappel des règles afférentes au principe de laïcité, 2011, p. 2 (2) Comme à Villeurbanne, Sargé-lès-le Mans (Sarthe), Arveyres (Gironde), Perpignan, Seine-et-Marne, La Devèze, Pau, Toulouse, Saint-Etienne, Villeneuve, Bouaye ou encore dans les communes de Montracol, Marck, Montastruc et Sens où l’on accepte aussi de servir un menu sans porc. (3) « Le repas végétarien, le plus laïc de tous », Le Monde, 26 mars 2015, http://www.lemonde.fr/idees/article/2015/03/26/le-repas-vegetarien-le-plus-laique-de-tous_4602163_3232.html. Les signataires sont Sandrine Bélier (ancienne députée européenne EELV), Allain Bougrain-Dubourg (journaliste et réalisateur), Florence Burgat (philosophe), Aymeric Caron (journaliste et écrivain), Franz-Olivier Giesbert (journaliste et écrivain), Jean-Baptiste Jeangène Vilmer (philosophe) et Matthieu Ricard (fondateur de l’organisation humanitaire Karuna-Shechen). (4) Chalon sur Saône, La Courneuve, Morlaix, Venarey-les-Laumes, Salon-de-Provence, Combrée, Guillonville, Salon-de-Provence, Béziers, Chilly-Mazarin, Lézignan, Dunkerque, La Roche-Posay , Bressols et Fléac.(5) Observatoire de la laïcité, communiqué à propos de la restauration scolaire, 17 mars 2015, http://www.gouvernement.fr/communique-de-presse-a-propos-de-la-restauration-scolaire (6) «Les cantines de Chalon-sur-Saône peuvent, pour l’instant, supprimer les menus sans porc», Libération, 13 août 2015, http://www.liberation.fr/societe/2015/08/13/les-cantines-de-chalon-sur-saonepeuvent-pour-l-instant-supprimer-les-menus-sans-porc_1362870 & « Justice Recours d’une association contre le maire de Chalon-sur-Saône; Repas sans porc : la laïcité au menu du tribunal Repas sans porc : la laïcité au menu du tribunal », Le Progrès, 12 août 2015 (7) Andrée BRUNETTI, »La restauration scolaire va être remunicipalisée », Midi libre, 27 mars 2015