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Écarté de l’hôpital en raison de sa barbe

Une barbe « imposante » peut constituer, pour celui qui le porte, un manquement « à ses obligations au regard du respect de la laïcité et du principe de neutralité du service public », quand bien même le port de la barbe n’est accompagné « d’aucun acte de prosélytisme ni d’observations des usagers du service », selon la Cour administrative d’appel de Versailles (Yvelines).

La cour administrative d’appel de Versailles a rejeté, dans une décision du 19 décembre, la requête d’un stagiaire médecin au centre hospitalier de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), limogé en février 2014 en raison du port d’une barbe jugée religieusement ostentatoire.

 

Avant même le début de son stage, la direction lui demande à trois reprises, de tailler sa barbe « imposante ». L’hôpital craint qu’elle puisse être « perçue par les membres du personnel comme un signe d’appartenance religieuse » et souligne « que l’environnement multiculturel de l’établissement rend l’application des principes de neutralité et de laïcité du service public d’autant plus importante ».

Raisonnement farfelu de la Cour.

Face à ces demandes, M. A. « s’est borné à invoquer le respect de sa vie privée sans pour autant nier que son apparence physique était de nature à manifester ostensiblement un engagement religieux ».

La mesure disciplinaire est « légalement justifiée », selon la cour de Versailles, qui confirme ainsi la décision du tribunal administratif de Montreuil en première instance.

Il faut ici rappeler quelques notions essentielles. Il semble que la Cour administrative d’appel ne tire pas les conclusions de ses propres constatations. Elle estime en effet que la barbe ne constitue pas en elle-même un signe religieux ostentatoire et qu’elle doit être accompagnée d’éléments supplémentaires pour faire l’objet d’une interdiction. Qu’en l’occurrence, en pratique, souvent les éléments supplémentaires sont les pressions exercées sur les autres membres du personnel du fait de sa religion.

Or, la Cour administrative d’appel reconnait elle-même que ce n’est pas celui qui portait la barbe qui faisait un quelconque prosélytisme : il se contentait de demander à ce qu’on respecte sa vie privée. En revanche, le zèle de certains membres de l’administration les poussait à demander au directeur de l’hôpital de traiter le cas de sa barbe.

Par un raisonnement farfelu et inédit, la Cour administrative d’appel inverse d’abord la charge de la preuve en sollicitant du médecin portant la barbe des éléments qui justifient qu’elle n’était pas ostentatoire alors que ce sont les autres membres du personnel qui l’accusent. Mais encore plus inédit, la Cour administrative d’appel reconnaît que ce dernier était irréprochable :

« Que, dans ces conditions, il doit être regardé comme ayant manqué à ses obligations au regard du respect de la laïcité et du principe de neutralité du service public, alors même que le port de sa barbe ne s’est accompagné d’aucun acte de prosélytisme ni d’observations des usagers du service. »

Rappelons que, en tant que représentant le service public hospitalier, le médecin portant la barbe ne doit pas manifester ses croyances religieuses : cela passe par l’impossibilité pour ce dernier de refuser de soigner une femme, ou encore l’interdiction pour ce dernier de porter un signe ostentatoire. Mais, dans les faits qui gouvernent cette affaire, rien ne semble venir alimenter une telle solution.

En réalité, la décision ne fait qu’entériner la mauvaise foi et l’intolérance de certains des collègues de ce médecin qui a simplement demandé à exercer son métier tranquillement. Il faut savoir désormais ce que nous souhaitons comme modèle de société ? Car on interdit aujourd’hui tout au nom de la laïcité. Dans certains cas, c’est justifié, mais il semble que, dans celui-ci, non seulement la Cour administrative d’appel a fait preuve d’une médiocrité dans l’analyse juridique de la situation mais également d’une décision contradictoire et insensée.

Interrogée, son avocate, Me Nawel Gafsia, assure qu’il « a finalement pu faire son stage à l’hôpital Paul Brousse, à Villejuif » et que « sa barbe de 5 centimètres n’a posé de problème à personne ». Elle annonce que son client va se pourvoir devant le Conseil d’Etat.

 

Par Yilmaz M.

 

 

 

Source :

LeMonde

Figaro

Egora