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Condamnation du Maire d’Istanbul : une aubaine pour… ses partisans

imamoglu maire d'Istanbul

Pour celles et ceux qui connaissent mal le fonctionnement des opposants turcs, ce titre peut sembler racoleur, voir complotiste. Mais les avertis savent que cet épisode n’est qu’une tempête dans un verre d’eau qui finira comme la plupart des autres, c’est-à-dire sans réelle condamnation ou au pire une obligation à verser des dommages et intérêts.

Mais entretemps les oppositions, friands de ce genre d’évènements, l’auront exploité jusqu’à la moelle à des fins purement électoralistes.

Un maire à l’insulte facile

Contrairement à l’image véhiculée par les occidentaux, Imamoglu, coqueluche de ces derniers, n’est pas victime d’une cabale qui viserait à le tenir à l’écart des prochaines élections présidentielles dont il n’est pas candidat, même si tous les signaux tendent à croire qu’il y pense en se rasant le matin.

Mais là aussi un problème majeur vient balayer cette thèse, en effet le président de son propre parti du CHP, Kemal Kiliçdaroglu y est fermement opposé, car lui-même cherche à s’imposer comme le candidat de la table dite « Table des 6 » composée de 6 partis d’opposition allant de la Gauche très laïque du CHP à l’ultra nationalisme du IYI, passant par les islamistes du Saadet, sans oublier le 7ᵉ non officiel du HDP Marxiste-Léniniste proche du Pkk.

Ainsi après avoir insulté le Préfet de Ordu de « chien » en juin 2019 puis maladroitement nié en invoquant un malentendu sur fond de jeu de mot, le Maire d’Istanbul se fera remarquer en récidivant en février 2020 où il invite les critiques à « se mettre les vacances dans le cul » faisant allusion aux critiques suite à son bref passage à Elazig et Malatya après un séisme ayant fait 41 victimes avant de déclarer que « la priorité doit être la gestion des séismes » et de se rendre à une station de ski d’où il partagera des photos d’une famille heureuse à la neige. 

L’épilogue de cette série d’insultes non exhaustive fait suite à une plainte déposée par la Haute Commission Électorale qui en aura prit pour son grade en novembre 2019, le Maire d’Istanbul les ayant insultés « d’imbéciles ».

Imamoglu, une pauvre victime ?

Celui dont le nom est désormais associé aux vacances et brillant par son absence à chaque fois que la ville d’Istanbul doit faire face à des crises météorologiques, car en vacances, mais qui, selon ses propres termes, « lui vont si bien », semble pourtant savourer le moment. En effet, suite à l’annonce le condamnant à 2 ans et 7 mois de prison, ce dernier a reçu la visite des chefs des oppositions avec un large sourire, l’occasion pour lui de se mettre en scène dont il raffole.

Le maire d’Istanbul, Ekrem Imamoglu, visiblement très content du verdict, célèbre la décision avec Meral Aksener.

La visite la plus remarquée aura été celle de la dirigeante du parti ultra-nationaliste, Meral Aksener, qui voit en lui des signes divins et la trempe de Fatih Sultan Mehmet, conquérant d’Istanbul, avant qu’un rassemblement soit organisé à Saraçhane en soutien à la « victime », où tour à tour les dirigeants des oppositions ont pris place à la tribune pour crier haut et fort leur dégoût.

Mais à regarder de plus près, même si cette condamnation judiciaire est discutable, les protagonistes ciblent principalement l’AKP au pouvoir et non le pouvoir judiciaire. Pour rappel, cette condamnation n’est pas définitive et Imamoglu dispose de recours qui, comme rappelé en introduction, aboutissent très souvent à une compensation financière. 

Bilan et la personne de Imamoglu

Issu d’une famille conservatrice de Trabzon, dont le père a été Président provincial du ANAP  (centre droit), Ekrem Imamoglu accède à la Mairie d’Istanbul en 2019 sous les couleurs du parti CHP, social, républicain, kémalisme et farouche laïc. Pour se faire élire, il n’hésitera pas à briser les tabous du CHP, notamment en se donnant en spectacle, faisant la lecture du Coran dans une mosquée entouré de religieux.

Ekrem Imamoglu, en train de lire le Coran dans une mosquée

Alors même qu’il n’a pas encore fait ses preuves, la victoire à la Mairie d’Istanbul le propulse au rôle d’un potentiel candidat à la Présidence, ce que le Président de son parti CHP, Kilicdaroglu, n’entend pas de cette oreille et ne manque pas de rappeler qu’il doit se concentrer sur sa ville. On comprend alors que la concurrence au sein même du CHP se veut très rude, sans compter que le CHP fait partie d’une alliance à 6+1 partis cherchant à porter au pouvoir un candidat commun face à Erdogan. Mais qu’à cela ne tienne, Imamoglu souffle en permanence le chaud et le froid, faisant grincer des dents au sein de son propre parti, divisé entre les traditionnels kémalismes nationalistes, les proches de la ligne Marxiste-Léniniste et les très minoritaires issus de mouvances conservatrices.

Désillusion d’Imamoglu

Après seulement quelques mois et quelques frasques à la tête de la Mairie, l’engouement laisse très vite place à la désillusion au sein même du CHP, divisé cette fois entre partisans de Imamoglu et Kiliçdaroglu, les uns le voyant comme le seul espoir de vaincre Erdogan, les autres comme un trublion qui sème la division et incapable de relever le défi de gérer la ville d’Istanbul.

En effet, depuis 3,5 années de gestion, la Ville d’Istanbul connaît une dette recors, des infrastructures en piteux états, une circulation incontrôlée, des problèmes de transport avec pannes et accidents à répétition… Le tout sur fond d’attributions d’appels d’offre douteuses. Par ailleurs, avide de mise en scène, dès son arrivée au pouvoir, Imamoglu organise une « inauguration » dite « inauguration du refus de couler les fondations » d’une station de dépollution (que son prédécesseur avait lancé) et qui s’avèrera catastrophique par la suite pour l’estuaire de la mer Marmara.

La mer de Marmara envahit par de la morve de mer

Pourtant, à toutes les critiques venant aussi bien des Stanbouliotes que de son propre camp, Imamoglu répond par un ego démesuré en répliquant tantôt « vous devez vous habituer à mon style » faisant allusion à ses vacances à répétition, tantôt par une expression turque signifiant « ça me rentre par une oreille et ressort par l’autre » en réponse aux critiques de son propre camp.

Un jugement incompréhensible et des réactions paradoxales

Si l’AKP au pouvoir voulait donner des arguments aux opposants et au monde occidental, qui selon lesquels la démocratie est mise à mal en Türkiye et où le pouvoir législatif dicte les jugements à donner au pouvoir judiciaire, il ne s’y serait pas pris autrement. Ainsi preuve est faite que ce jugement abusif n’a rien à voir avec les accusations, à l’heure actuelle Imamoglu n’est pas candidat, ni même pressenti par sa propre famille politique où il en exaspère plus d’un.

Le paradoxe est tel que les opposants, compris en interne à Imamoglu, exultent à l’idée que ce jugement sert à se poser en victime et ainsi peut convaincre les indécis ayant soif de « justice » comme lors des dernières élections municipales où le recomptage des voix à Istanbul a permis de creuser l’écart, minime au premier scrutin.

D’un autre côté, l’AKP est désemparé par ce verdict, car conscient des retombées psychologiques sur les électeurs, accentuées par les manipulations politiques et médiatiques des oppositions. 

« La table des 6 » ne veut pas de la candidature de Kilicdaroglu qui continue pourtant de s’imposer comme le seul candidat ouvertement mais pas officiellement déclaré. D’ailleurs, lors du meeting du soutien, il a rappelé que « Imamoglu allait continuer à servir les Stambouliotes ». Il s’agissait pour lui, de couper court à sa volonté d’etre candidat.

En tout cas, la décision définitive ne sera pas rendu avant 2 ans alors que les élections sont dans six mois. Par conséquent, Imamoglu pourra être candidat sans problème.

Sondage Imamoglu Erdogan
En trois ans, Imamoglu a perdu toute crédibilité et arrive dernier dans les sondages des partisans de CHP.

 

Déclaration du Président Erdogan

En déplacement à Mardin pour une série d’inaugurations, Erdogan dénonce de son côté le manque de vision et une stratégie politique navrante des opposants qui se joue sur son dos   en déclarant :

« Il n’y a ni lutte d’opinion ni une course aux services à rendre (à la nation). D’un côté, on rit, de l’autre, on est triste. Nous nous amusons de la façon dont beaucoup de fausses déclarations sont faites. Nous nous sentons tristes quand nous voyons que quelqu’un nous joue le jeu des trônes à la byzantine. »

Le président turc Recep Tayyip Erodgan, à Mardin
Erdogan, lors d’un meeting à Mardin dans le sud-ouest du pays

« S’il y a une erreur du tribunal, c’est là-bas qu’elle sera corrigée. Ils essaient de nous faire rentrer dans ce petit jeu. Nous n’avons pas participé à ce jeu et nous ne le ferons pas ».

Le président turc Recep Tayyip Erodgan, à Mardin

MD