L’haltérophilie est associée dans nos esprits aux Apollons musclés, ayant l’art et la manière de soulever 3 fois leur poids. Les champions du monde sont bien des turcs comme Halil Mutlu, surnommé le « little big man » ou bien feu Naim Süleymanoğlu, surnommé « l’Hercule de poche ».
L’haltérophilie demande beaucoup de souplesse, rapidité et puissance. Tout doit fonctionner en parfaite harmonie, avec une grande coordination : les jambes, pour soulever la charge, le travail du dos, pour aider la barre à passer les genoux et puis, dans un même mouvement, le tirage. On hausse les épaules, on saute légèrement, et on « chute » sous l’haltère.
Quel n’a pas été notre étonnement lorsque nous avons découvert Ayse Karaca, 15 ans, jeune franco-turque vivant à Amiens (département de la Somme), inconditionnelle d’haltérophilie mais surtout championne de France de sa catégorie. Malheureusement, Ayse n’étant pas de nationalité française ne peut prétendre au titre de championne de France donc elle se contentera de la médaille.
J’ai toujours été un garçon manqué !
Comment l’envie de faire de l’haltérophilie t’est elle venue? N’est-ce pas plutôt un sport typiquement masculin?
En fait, j’ai toujours été un garçon manqué, avant de me lancer dans l’haltérophilie, je faisais de la musculation et de la gymnastique . En 4ème, j’ai choisi la section sportive dont le sport était l’haltérophilie. De par mon passé de gymnaste, les entraîneurs ont admiré la souplesse de mes mouvements. J’ai commencé à aller aux entraînements 3 heures par semaine. J’ai senti que c’était ma vocation.
Les gens pensent que c’est un sport exclusivement masculin, mais tout ceci n’est que cliché. Pour exemple, mon club « SCHAM » où il y a plus de filles que de garçons.
Dois-tu suivre un régime alimentaire particulier?
Pas forcément, nous avons des catégories de poids pour les compétitions donc il faut seulement avoir une alimentation saine. C’est-à-dire pas de boissons gazeuses, pas de fast-food ni trop de gras. Si on veut réguler parfaitement notre poids il faut prendre un petit déjeuner normal, un déjeuner équilibré et au dîner, ne mangez qu’une soupe, tout en buvant beaucoup d’eau dans la journée.
A quel âge peut-on commencer à pratiquer ce sport?
Je dirais il est possible de commencer vers 6 ans mais avec des règles beaucoup plus souples bien sûr.
Existe-t-il des cas de dopage, dans ta catégorie ?
Non! Je n’ai jamais eu le cas de figure, de plus, les clubs sont très pointilleux sur la réglementation.
Quelle est la vision de ton entourage, ta famille, tes amis, ton école sur ton activité sportif?
Ma famille et mes amis sont fiers de moi, ils me soutiennent tous sans exception et m’encouragent. Mes profs’ sont divisés, certains m’encouragent, d’autres, considèrent que cela peut perturber mes devoirs, ma scolarité, mon moral ainsi qu’augmenter ma fatigue physique.
Quel est le regard que te porte la communauté turque?
Je dirais qu’elle est fière d’avoir une championne dans la communauté, beaucoup sont impressionnés, et certains pensent simplement que je perds de ma féminité.
As-tu penser un jour représenter la Turquie?
Je n’y ai jamais pensé, j’ai représenté mon collège, ma ville, mon club mais il ne m’est jamais venu à l’idée de représenter tout un pays.
Actuellement, combien d’heures d’entraînement as-tu hebdomadairement ?
Je m’entraîne pour l’haltérophilie 3 jours par semaine donc 7h30 et dans une salle de musculation 4 jours par semaine donc 10 h. Je m’entraîne près de 18h par semaine, ce qui est très fatigant physiquement et très prenant, je n’ai plus trop de temps pour mes amis, donc cela impacte ma vie sociale.
L’entraînement à outrance, et plus particulièrement l’haltérophilie peuvent-ils avoir une répercussion sur ta morphologie et ta santé, sachant que tu es en pleine croissance ?
Je suis suivie par des médecins de sport et des kinésithérapeutes mais cela n’empêche pas que je risque d’avoir une croissance ralentie donc ne pas atteindre une taille normale pour une fille, de plus cela impacte aussi mes formes, la poitrine ne se développe plus.
Quel est le regard des garçons ? Ont ils peur de toi?
Oui, et cela m’amuse énormément. La majorité des garçons qui me connaît ne me considèrent pas comme une fille mais plutôt comme un « bonhomme » et cela leur arrivent de me chambrer en me disant :
Non,vas-y, je vais pas te chercher, sinon tu vas me soulever comme la barre là !
Ressens-tu du racisme au sein de ton sport?
Non, pas du racisme mais une certaine forme d’injustice. Lorsque je gagne une compétition, je n’obtiens pas le titre, qui sera décerné à mon adversaire, même si je soulève plus de poids qu’elle, pour la simple raison que je ne suis pas de nationalité française donc c’est très frustrant. Je ne suis pas la seule dans ce cas, les cas sont nombreux. Je trouve que c’est injuste et un brin discriminatoire.
Une jeune fille bien dans son corps, bien dans sa tête.
Ayse, excelle en matière d’haltérophilie mais est aussi une élève sérieuse qui ne délaisse pas ses études au détriment du sport. Jeune fille accomplie, elle est la fierté de sa ville, de sa famille et de ses amis.
De nombreuses médailles à son palmarès :
- Championne au Grand Prix Federal de Paris en 2017.
- Vice-championne de France académique 2017 avec son collège.
- 3ème au championnat de France 2017 (sans obtenir le prix à cause de sa nationalité).
- Championne de France académique 2018.
Néanmoins, elle précise qu’elle a aussi essuyé des échecs et qu’elle en retire des leçons :
Mes échecs m’ont permis de comprendre que c’est en tombant que l’on se relève plus fort.
Le sport, quelque soit la discipline permet aux jeunes de s’affirmer, de conquérir l’esprit de compétition, le respect et la discipline. Ayse en est l’exemple même.
Aydanur Tüfekçi