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Une agence de lutte contre les manipulations de l’information

agence de manipulation de l'information

La France va créer, en septembre, une agence nationale de lutte contre les manipulations de l’information en provenance de l’étranger visant à « déstabiliser l’État », a annoncé mercredi le secrétaire général de la Défense et de la Sécurité nationale (SGDSN), Stéphane Bouillon.

Lors de son audition à l’Assemblée Nationale, sur la thématique « Résilience et planification de sécurité », il a fait savoir que ce service mobilisera à terme jusqu’à 60 personnes.

« Notre objectif est de détecter le plus rapidement possible quelque chose qui est en train de monter et de pouvoir signaler l’incendiaire. Une fois que la forêt a brûlé c’est triste mais c’est trop tard », a-t-il poursuivi devant les parlementaires.

D’après ses déclarations, le secrétaire tient à souligner qu’il ne s’agit « pas de corriger ou de rétablir la vérité » avant de poursuivre qu’il souhaite avant tout « détecter les attaques quand elles viennent de l’étranger ».

Il n’est pas question des cybers attaques

Ces « attaques » évoquées par Stéphane Bouillon ne sont pas des cybers attaques classiques comme on a l’habitude d’entendre mais plutôt de faire face à des « informations » concernant la France. En effet, depuis qu’il est à l’Elysée, le président français regrette constamment « des fausses informations » sur la France. En revanche, quand il se plaint de ses « fakes news », il ne précise jamais de quoi il parle et n’hésite pas à attaquer via ses comptes gouvernementaux des médias étrangers notamment l’Agence Anadolu (Turquie).

D’ailleurs d’après les explications du secrétaire, « la future agence devrait pouvoir fournir aux hommes politiques, aux diplomates, à la justice et à la presse, les provenances des tweets concernant la France ». Ainsi selon lui, s’il y a « 400 milles tweets sur un sujet concernant la France », il veut démontrer que « les 200 milles viennent d’une ferme de bots ».

Un bot est un faux compte ouvert par des individus ou des états afin de participer à une campagne de propagande à charge ou à décharge dans le but de créer un effet de masse. Ainsi, plutôt que d’attendre la réaction des « vrais » citoyens, les bots sont utilisés afin de diffuser à maximum de personnes afin le faire réagir ensuite. La participation des bots sert notamment à placer un sujet dans les tendances du moment.

Plusieurs états comme l’Arabie Saoudite et les Emirats Arabes Unis sont accusés de recourir à ces comptes pour mener des campagnes de dénigrement. D’après une étude américaine, entre 9 % et 15 % des comptes du réseau social ne sont pas associés à une personne réelle et fonctionnent de manière automatique.

La France accusée de propager des fausses informations

Mais dans le cas de la France, il y’a plusieurs problèmes qui se posent. Ainsi, en décembre 2020, Facebook avait fermé plusieurs comptes spécialisés sur l’Afrique en affirmant qu’ils étaient liés à l’armée française pour faire croire « à un soutien massif des citoyens à la France en Afrique ». Ainsi, cela démontre que la France elle-même a recours à ce genre « d’opérations » en plus de celles des militaires.

Ensuite, tous les spécialistes des réseaux sociaux savent qu’il existe des outils très poussés capables d’analyser les comportements des internautes et la provenance des messages. A ce jour, aucun article et aucun spécialiste n’ont fait état d’une campagne de dénigrement envers la France depuis l’étranger.

En réalité, tous les sujets polémiques de ces dernières années comme les gilets jaunes ou l’islamophobie qui ont été largement traités sur les réseaux proviennent majoritairement des comptes français.

En créant une agence d’un tel pouvoir à moins d’un an de deux échéances électorales majeures (présidentielles et législatives) qu’espère réellement le gouvernement français ?

Les critiques envers les dérives possibles de l’agence

Sur son compte twitter, le co-fondateur du de la revue « Le Monde Moderne », Alexis Poulin écrit par exemple :

« Et pour un observatoire de la propagande élyséenne qui est chaud ? ».

De son côté, le président fondateur de l’Union Populaire Républicaine (UPR), François Asselineau, est aussi très critique contre l’idée de cette agence.

« NON, il ne s’agit pas de lutter contre les écoutes des dirigeants français par les américains, danois et allemand ! Il s’agit de ‘se préparer’ aux ‘tentatives d’ingérence’ étrangères dans l’élection de 2022, comme ‘aux États-Unis’. Bref, ce sont la Russie et la Chine les méchants », ironise le politicien.

« Il ne s’agit pas non plus de lutter contre le verrouillage des médias qui se sont arrogés le droit :

– de censurer totalement un candidat, des analyses et un programme qui heurtent les intérêts de leurs propriétaires

de faire élire à l’Élysée quelqu’un qui détruit la France », poursuit-il encore dans son réquisitoire.

En tout cas, le compte Twitter du Comité Interministériel de Prévention de la Délinquance et de la Radicalisation (SG-CIPDR) avait écrit, le 27 avril dernier, que l’Agence Anadolu serait « un organe de propagande qui publie sur son site des tribunes d’opinion attaquant, de façon mensongère et calomnieuse, la France ».

Tentatives d’intimidation des médias étrangers

En créant une telle agence, l’Elysée veut officialiser les attaques envers des médias étrangers qui permettent régulièrement la publication d’articles ou de tribunes qui illustrent un climat délétère en France, notamment sur la question de l’islamophobie.

Force est de constater qu’il ne reste pratiquement plus de médias « main stream » en France capables d’apporter une contradiction au gouvernement français. Malheureusement pour le pays, la concentration des médias est une menace pour la démocratie comme le dénonce l’observatoire des médias – ACRIMED, depuis des années.

Ainsi, en désignant un ennemi de l’extérieur, Macron veut rallier les identitaires et les nationalistes à sa cause afin de se faire élire à nouveau en 2022. Et comme le craignent certains, cette agence peut facilement se transformer en un outil de propagande pour le « candidat Macron » en accusant d’ingérence n’importe quel pays et en le diabolisant.

D’ailleurs n’est-ce pas ce qu’il fait Macron quand il accuse la Turquie de « tentative d’ingérence » sans jamais apporter les preuves nécessaires.

Ce qui est plus grave encore, c’est que la nouvelle agence peut aussi servir à décrédibiliser les adversaires politiques. Conscient du risque que cette nouvelle agence passe pour un outil d’influence en ligne au service de l’exécutif français à un an de la présidentielle, le SGDSN promet la « transparence totale » sur ses actions. D’après les annonces auprès des médias, un comité d’éthique et scientifique composé d’un membre du Conseil d’Etat, d’un membre du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), d’un magistrat, d’un ambassadeur, de journalistes et de chercheurs veilleront au bon fonctionnement de l’agence.

Mais, sommes-nous obligés d’y croire ?

Fatih KARAKAYA