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Medyacheck : la Turquie a-t-elle fermé une chaîne d’opposition ?

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Plusieurs médias français ont rapporté qu’une chaîne d’opposition en Turquie avait été fermée sous la pression du gouvernement d’Erdogan. Pourtant le propriétaire de la chaîne affirme le contraire. Qu’en est-il vraiment de cette histoire ? Medyacheck a vérifié les allégations.

Tout d’abord attardons-nous sur la définition de « chaîne d’opposition » : en clair, cela veut dire « une chaîne de télé qui a une ligne éditoriale opposée à la politique du gouvernement ». En l’occurrence dans notre cas, il s’agit des chaînes de télé qui critiquent le gouvernement d’Erdogan. Avant de continuer sur ce sujet, peut-on citer des chaînes ou même des médias d’opposition en France ?

Bizarrement, cette notion n’existe même pas en France et en aucun cas, on parle de médias d’opposition. Pourquoi ? Probablement qu’il n’y a pas de médias, à part un ou deux, qui critiquent le gouvernement. À titre d’exemple, même Valeurs Actuelles est en opposition avec le gouvernement , le magazine juge que Macron ne va pas assez loin mais n’est pas en désaccord sur ses lois liberticides. Le cas de Sébastien Thoen devrait faire réfléchir sur la liberté de la presse en France.

On se souviendra également de la fin des Guignols ou l’éviction de plusieurs journalistes ces derniers jours « pour ne pas avoir respecté le choix du propriétaire de la chaine ».



Les médias d’opposition en Turquie

Pourtant en Turquie, on peut citer plusieurs dizaines de médias d’opposition y compris des chaînes de télévision. Parmi ces chaînes, plusieurs ont de grandes audiences et d’autres n’attirent pas grand monde au même titre que certaines chaînes dites « pro-gouvernementales ».

Outre les médias sur les réseaux sociaux qui sont le plus souvent étrangers et opposés à Erdogan, des médias classiques continuent d’informer leurs lecteurs ou leurs téléspectateurs tels que FOX TV, TELE1, HALK TV. TV5, ARTI TV, SOZCU, KARAR. Etc. Vous pouvez consulter une liste non exhaustive des médias classés selon leur opinion sur ce site.

Le cas d’OLAY TV

En Turquie il existe des centaines de chaînes, de journaux, de magazines, de radios et de nouveaux médias. Parmi tous ces médias, la fracture est trop importante pour avoir un débat apaisé sans que l’une ou l’autre partie ne s’accusent mutuellement. Rare sont ceux qui ont décidé de mener une ligne éditoriale. Pour ces chaînes ou journaux, vous trouverez des gens du « côté du gouvernement » qui les accuseront d’être « de l’opposition » alors que l’opposition les jugera comme « lèches bottes d’Erdogan ».

Ainsi dans ce climat un peu particulier, Cavit Caglar, un riche homme d’affaires qui fût ministre à une époque a voulu lancer sa propre chaine de télévision en complément du journal « Olay Gazetesi ». Cavit Caglar était un homme politique de « centre droit » comme il se définit. Mais en réalité, il est beaucoup plus proche des kémalistes nationalistes.

D’ailleurs dans un entretien accordé à Nagehan Alci, une journaliste de Haberturk, il dit qu’il « admire Meral Aksener, du Bon Parti (Iyi Parti), parti nationaliste kémaliste ».

Pourtant dans cet entretien, il rajoute que son objectif était de créer pour la Turquie, une «chaîne pluraliste» et non une chaîne d’opposition ou une chaine du gouvernement, qui tient compte de toute la composition de la société. Selon ses explications, il a laissé le choix des journalistes à son associé (une personne de droite aussi). Pourtant, celui-ci a choisi des journalistes uniquement pro-HDP.

De plus, Cavit Caglar explique que cela ne lui dérange pas que les journalistes parlent aussi du HDP, mais selon lui, les autres partis y compris de l’opposition ont été lésés et ainsi le HDP a pris une plus grande place dans la ligne éditoriale.

Entretien avec le directeur de publication

Toujours selon les médias Turcs qui se basent sur les déclarations de Cavit Caglar, celui-ci a fait part de sa gêne à Süleyman Sarılar, directeur de publication de la chaîne Olay TV. Celui-ci a alors refusé d’équilibrer la ligne éditoriale en embauchant de nouveaux journalistes un peu plus nuancés.

Détenant tous les droits de la chaîne et refusant ainsi de cautionner cette ligne éditoriale, Cavit Caglar aurait décidé alors de mettre fin à sa collaboration avec les journalistes. Celui-ci a eu pour conséquence directe la fermeture de la chaîne.

Cavit Caglar assure aussi qu’il n’a pas renoncé à son projet et qu’il va préparer une nouvelle chaîne ayant pour politique « équilibriste » et dément toute « pression » du gouvernement.

En outre, dans un entretien accordé à la presse au mois de septembre 2020, soit avant la création de la chaîne, Cavit Caglar avait annoncé que « même s’il appréciait Recep Tayyip Erdogan en tant que personne, il n’était pas partisan de l’AKP et qu’il souhaitait voir une chaîne pluraliste, de juste-milieu ne prenant pas part pour le gouvernement ou l’opposition ».
De leurs côtés, les partisans d’Erdogan avaient prétendu que l’associé « caché » de la chaîne était le maire d’Istanbul, Ekrem Imamoglu.

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Dès le mois de septembre, Cavit Caglar avait expliqué vouloir une chaine pluraliste.

De toute évidence, il est désormais établi que non seulement, Imamoglu n’est pas associé à la chaîne, mais Caglar n’a pas réussi non plus à former une chaîne « pluraliste » comme il le souhaitait.

Le gouvernement a-t-il fait pression?

Face à la fermeture de la chaîne, les journalistes ainsi que l’opposition ont prétendu que le gouvernement avait fait pression pour faire fermer la chaîne.

Comme annoncé plus haut, en Turquie, il existe des centaines de chaînes nationales et locales qui tentent de se démarquer des autres afin d’avoir une audience convenable. Depuis 26 jours, cette « chaîne d’opposition » n’a pas réussi à dépasser les 0.08% d’audience selon le site antensiz.tv. en Turquie.

En quoi prendre un tel risque et essuyer une avalanche de critiques auraient servi au Gouvernement concernant une chaîne à très faible audience, alors que d’autres chaînes existantes depuis un bout de temps font «un travail journalistique» plus «nuisible» au gouvernement?

Pour avoir une idée des audiences, vous pouvez consulter aussi ce site qui donne un rapport détaillé des audiences par mois sur le site de TIAK

Pour conclure, on peut clairement dire que le projet mal préparé depuis le début a eu raison de cette chaîne qui n’a pas réussi à se faire une place parmi les chaînes les plus suivies. De plus, les désaccords sur la ligne éditoriale étaient trop importants pour que la chaîne puisse continuer à exister malgré le souhait « pluraliste » de son propriétaire. Si les médias Français veulent voir une chaine d’opposition en Turquie, il suffit de consulter la liste de nombreuses chaines disponibles.