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Le double-jeu de l’Élysée sur la visite de Sissi

Sissi légion d'honneur à l'Elysée

Alors que le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi était en visite officielle en France du 6 au 9 décembre, l’Elysée, contrairement à la Présidence égyptienne, restait discrète voire silencieuse sur certains aspects de cette visite.

Comme le révélait mardi dernier, l’émission le « Quotidien » de Yann Barthès, alors que selon le programme officiel de l’Élysée, le Président français, Emmanuel Macron terminait sa journée de lundi à 18 heures, en réalité il remettait la Grand Croix de la Légion d’Honneur à son homologue égyptien.

Seules les caméras égyptiennes étaient autorisées à filmer la cérémonie, alors qu’aucun média français ne pouvait accéder à l’événement, ce qui menait le journaliste français à se questionner sur les motifs d’une telle omission par l’Élysée à propos du programme du Président Macron.

De la même façon, alors que la Ministre de la Défense, Florence Parly accueillait le chef d’État égyptien aux Invalides, à Paris, encore une fois, la presse française n’était pas informée de l’événement suivi par la presse officielle égyptienne exclusivement.

Anne Hidalgo cache également sa rencontre avec Sissi

De nouveau, alors que la Maire de Paris, Anne Hidalgo recevait lundi 7 décembre le président égyptien à la Mairie et qu’elle accompagnait ce dernier jusqu’à sa voiture, en dehors des objectifs de la Présidence égyptienne, nul n’était informé de la visite.

Dans le cadre de sa visite à Paris, al-Sissi avait programmé de se rendre, mardi dernier, à la Cité internationale universitaire de Paris (CIUP) afin de lancer le chantier de la Maison d’Égypte, visant à assurer l’accueil d’étudiants et de chercheurs égyptiens dans la capitale française d’ici 2023.

Elysée Sissi
Après l’Elysée, le dictateur Sissi reçu en grande pompe par la maire de Paris

Du fait de la présence d’étudiants venus dénoncer la visite du président égyptien, l’inauguration du chantier avait été repoussée au lendemain (mercredi 9 décembre). Un petit groupe de manifestants informés du report de la visite était cependant venu protester à proximité de l’entrée principale de la CIUP, mercredi.

Comme il est possible de le voir dans les vidéos diffusées sur les réseaux sociaux, les étudiants avaient d’abord été éloignés des lieux par des agents en civil, avant d’être encerclés par les forces de sécurité quelques dizaines de mètres plus loin.

Venues dénoncer ce qu’elles qualifient de « répression massive » à l’égard des opposants politiques ainsi que les nombreuses entraves du Caire aux droits de l’homme, plusieurs organisations non gouvernementales, avaient signé une tribune le 7 décembre, faisant état d’environ « 60 000 détenus d’opinion » en Égypte depuis 2014.



Opposants politiques morts en prison

Un article de la journaliste Hala Kodmani, publié en mai dernier par le quotidien français « Libération » rapportait notamment le décès de l’artiste égyptien Shady Habash à l’âge de 24 ans dans une prison égyptienne.

« Vidéaste et photographe, il avait réalisé le clip d’une chanson moquant le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi »

« Accusé de « diffusion de fausses nouvelles » et « d’appartenance à une organisation illégale« , Shady Habash avait été arrêté en mars 2018 et maintenu depuis en détention, sans jugement, précisait Kodmani avant de rappeler la situation mieux connue du public, du jeune Mustafa Gamal, « spécialiste des réseaux sociaux, arrêté avec lui et toujours en prison ».

« Le président Al-Sissi a une responsabilité directe dans l’emprisonnement de Shady Habash pour la seule raison que celui-ci a participé à une chanson qui le critique et parce qu’aucun juge n’ose attester de l’innocence de quelqu’un qui a critiqué le président de la République ».

La journaliste française citait un message publié par le directeur de l’Institut du Caire pour les études des droits de l’Homme (CIHRS), Bahey Eldin Hassan

Un groupe d’experts indépendants de l’Organisation des Nations Unies (ONU) spécialistes des droits de l’homme, avait annoncé en novembre 2019 qu’il existait « des preuves crédibles » selon lesquelles des conditions de détention inadéquates dans lesquelles l’ancien président égyptien, Mohammed Morsi aurait été placé auraient pu entraîner « directement » sa mort, en juin 2019.

Des milliers de détenus politiques en Egypte

Le communiqué de presse des experts indépendant, notait également que des milliers d’autres détenus encouraient un « risque grave » d’être tués.

« Dr. Morsi a été incarcéré dans des conditions qui ne peuvent être qualifiées que de brutales, en particulier pendant ses cinq ans de détention dans le complexe pénitentiaire de Tora ».

Agnès Callamard, Rapporteure spéciale sur les exécutions extrajudiciaires, au groupe de travail des Nations unies sur les détentions arbitraires.

“La mort de Dr. Morsi après avoir enduré ces conditions pourrait constituer un meurtre arbitraire sanctionné par l’État », notaient encore les experts indépendants.

Mohammed Morsi, avait été le premier chef d’État égyptien élu de façon démocratique, dans l’histoire de l’Égypte moderne. Après avoir exercé ses fonctions du 30 juin 2012 au 3 juillet 2013, il avait été renversé par un coup d’État militaire portant la Maréchal al-Sissi au pouvoir.

Un journaliste italien rend sa Légion d’honneur

Corrado Augias, un écrivain et journaliste italien annonçait samedi dans un quotidien transalpin qu’il irait lundi restituer sa Légion d’honneur à l’ambassade de France à Rome.

« A mon avis, le président Macron n’aurait pas dû concéder la Légion d’honneur à un chef d’État qui s’est objectivement rendu complice d’atroces criminels »

Corrado Augias, dans une tribune publiée par le quotidien La Repubblica ».

« Le geste symbolique témoigne de l’indignation d’une grande partie de la presse et de l’opinion publique italiennes devant le tapis rouge déployé à Paris sous les pieds de l’ancien général. Il faut rappelé que celui-ci a jeté en prison près de 60 000 opposants politiques, et dont les services sont fortement soupçonnés d’être les responsables de l’enlèvement et de l’assassinat au Caire, en 2016, de Giulio Regeni », écrivait dimanche Eric Jozsef, correspondant à Rome du quotidien « Libération ». Il faisait référence à l’étudiant italien dont le corps avait été retrouvé sur une autoroute égyptienne avec « des signes évidents de torture ».

« La mesure du juste a été dépassée voire outragée. L’assassinat de Giulio Regeni représente pour nous, les Italiens, une blessure sanglante, un affront, et j’aurais attendu de la part du président Macron un geste de compréhension sinon de fraternité, au nom de l’Europe qu’ensemble nous essayons si durement de construire »

Corrado Augias

Peut-être un élément de réponse à la question que se posait, (faut-il le rappeler, de façon rhétorique, voire sarcastique) le journaliste Yann Barthès sur les omissions de l’Élysée mais aussi d’autres institutions françaises, concernant la visite officielle du président égyptien Sissi.