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« J’en appelle à plus de démocratie, de justice, de paix, et de droit ! »

cojep ali gedikoglu

La France est debout… Les fidèles chrétiens, les organisations non gouvernementales, les partis politiques et les universités manifestent leurs inquiétudes et se dressent contre les pratiques anti-démocratiques restreignant les droits de l’homme et les libertés citoyennes, à l’instar du projet de loi « confortant les principes républicains », qui doit officiellement être présenté le 9 décembre 2020. Malgré le danger que représente la Covid-19, les citoyens sont dans les rues ; malgré les violences policières, ils abondent sur les places pour exiger leurs droits.

Les musulmans, qui représentent l’un des groupes visés par le projet de loi du 9 décembre, sont, contrairement à d’autres communautés religieuses, tombés dans un silence profond. Il n’y a aucune déclaration, aucune suggestion, aucune réaction. Au cours de rencontres avec les représentants de neuf associations musulmanes à l’Élysée, le président Emmanuel Macron leur a confié des devoirs. Il semblerait désormais que les présidents de ces associations musulmanes se dévouent consciencieusement, et en silence, aux missions auxquelles ils ont été affectés.

Ce silence est-il dû à leur sens de la responsabilité, au fait qu’ils soient concentrés sur leurs tâches respectives, ou est-ce le silence de la peur ? La question se pose, la réflexion s’impose.

Lignes rouges de Macron

Emmanuel Macron a mentionné deux « lignes rouges » dans ses déclarations aux présidents des associations musulmanes : intervenir dans la politique constituerait la première ligne rouge, ainsi qu’autoriser la politique dans la mosquée, ou de faire toute déclaration qui pourrait être considérée comme politique, selon le Président français soulignant qu’aucune forme de soutien ne pourra être apporté à ce qui est décrit comme l’« islamisme politique ».

Je ne sais pas comment les présidents d’associations ont réagi à cette imposition doublée d’une accusation, mais à en juger par leur silence après la réunion, il semble qu’ils l’ont tranquillement acceptée.

Je me demande si quelqu’un a pensé à poser quelques questions à Macron : « Qui, et où, seraient ces « islamistes politiques » ? Quelle association de mosquée les aurait soutenus ? Pourquoi n’a-t-on pas demandé la place de ce prétendu « islamisme politique » dans l’échiquier politique français ? Qui seraient ses dirigeants ? Quel serait son programme, ses cadres, ses drapeaux et ses centres ?

Et que signifie «islamisme politique» ?

Si un Français musulman fait de la politique, est-ce que cela doit être considéré comme de l ‘« islamisme politique » ? Si tel est le cas, comment les citoyens français de confession musulmane exerceront-ils leurs droits démocratiques à l’avenir ? La polyvalente et très élastique accusation d ‘«islamisme politique» ne créera-t-elle pas un nouveau mur de Berlin pour l’exercice légal et équitable des droits démocratiques ? Il est inacceptable de dépeindre ainsi des millions de Français de confession musulmane comme un danger et une menace pour la France, la démocratie et les valeurs démocratiques. La France a un besoin réel de politiques visant à gagner et à embrasser ses citoyens de confession musulmane, et non à les marginaliser ou à les ségréguer.

Le silence des associations représentant les musulmans contre cet épais mur de Berlin visant à empêcher les citoyens français de confession musulmane d’exercer leurs droits démocratiques, montre l’ampleur de la peur. Les Musulmans français ont un passé propre, et ils demeurent attachés aux valeurs de la France. Par conséquent, ils ne doivent pas avoir peur de défendre courageusement les valeurs de la France, les droits démocratiques et les libertés. Ils doivent s’opposer au projet de loi « confortant les principes républicains » qui, de fait, restreint voire supprime ces droits et libertés. Et ils doivent exercer librement leurs droits démocratiques afin que la loi ne soit pas présentée au parlement.

Formation des imams

Par ailleurs, la seconde « ligne rouge » de Macron concerne la formation et la certification des imams. Seuls les imams qui se verront attribués ces certificats pourront donc diriger des prières, prêcher et donner des conférences, et les imams sans certificat ne pourront pas officier dans les mosquées. Les présidents des associations auraient dû se méfier de ces restrictions imposées aux mosquées. Ils auraient dû aussi exiger du temps pour réfléchir à cette question, discuter avec les fidèles dans les mosquées et écouter leurs opinions.

La France ne doit pas devenir ainsi un pays où les impositions verticales, unilatérales et anti-démocratiques menant à l’exclusion des Musulmans, donnent naissance à des situations anti-démocratiques. Cela risque de nourrir le sentiment que l’État interfère avec la mosquée, qu’il s’immisce dans ce lieu de culte, dans les sermons, dans les prêches. Cette perception nuit et risque de nuire davantage à l’image de la France dans le monde, celle d’une France démocratique et libertaire.

La solution devrait être plus de démocratie, plus de justice, plus de paix, et plus de droit.

* Ali Gedikoğlu est président et fondateur de l’organisation non-gouvernementale COJEP International. Celle-ci lutte sur la scène internationale contre le racisme, les discriminations et l’islamophobie, et fait la promotion de la citoyenneté, de la démocratie et de la justice.

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