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L’instrumentalisation des attentats, énième cheval de Troie de l’islamophobie en France ?

Il y a trois ans, jour pour jour, deux terroristes avaient endeuillé la France en décimant l’équipe de Charlie Hebdo, célèbre journal satirique, faisant 12 morts dans la capitale française.

L’attentat revendiqué par Al Qaïda dans la Péninsule Arabique (AQPA) avait laissé le pays en émoi, et propulsé Charlie Hebdo au rang de nouvel emblème national de la liberté d’expression.

Alors qu’une cérémonie d’hommage aura lieu dimanche matin, en mémoire des victimes devant les anciens locaux de la rédaction, en présence du président français Emmanuel Macron, et de plusieurs de ses ministres, certains s’interrogent, l’ esprit « Charlie », est-il toujours aussi présent qu’en 2015 ?

Que veut dire être Charlie aujourd’hui ?

« Toujours Charlie », c’était le thème de la journée de mobilisation organisée, samedi, dans l’emblématique salle des « Folies Bergères » à Paris, à l’initiative du « Printemps Républicain », de la Ligue Internationale Contre le Racisme et l’Antisémitisme (LICRA) et du « Comité laïcité république » en présence de membres du journal satirique Charlie Hebdo, de journalistes, et de politiques.

La journée, articulée par des débats, prenait officiellement sa source dans une volonté affichée de rendre hommage aux victimes des attentats de Charlie Hebdo mais aussi à celles de l’Hypercasher qui avaient fait 17 morts entre le 7 et le 9 janvier 2015 dans la capitale française.

L’assistance au programme de la journée « Toujours Charlie » était composée de personnalités connues, avec notamment la présence et la participation aux débats de Gilles Clavreul, préfet et ancien Délégué Interministériel à la Lutte Contre le Racisme et l’Antisémitisme (DILCRA), de la philosophe Elisabeth Badinter, de Caroline Fourest, essayiste, ou encore de Raphaël Enthoven, professeur de philosophie et chroniqueur à la radio Europe 1.

Qui sont réellement les organisateurs ?

Crée en mars 2016, le « Printemps Républicain » vise à « promouvoir la laïcité » selon la description de son site officiel.

L’association est actuellement présidée par Amine El-Khatmi, ancien adjoint socialiste à la mairie d’Avignon, et compte dans sa direction le politologue Laurent Bouvet ou encore Nassim Seddiki, membre du parti socialiste.

Autrement dit, des proches, voire très proches, de l’ancien Premier Ministre Manuel Valls qui n’a pas hésité, notamment le 23 novembre dernier, à l’antenne de la radio RMC, à expliquer qu’ « il y a une montée de l’antisémitisme dans les quartiers populaires, de la part d’une population en majorité maghrébine et musulmane ».

On peut également lire, sur le compte Twitter officiel du « Printemps républicain », un étrange message posté le 20 mars 2016 : « Interdisons la présence de mères voilées dans les sorties scolaires. Je ne veux pas que les enfants s’habituent au voile ».

Une polémique inutile si on considère que le Conseil d’Etat, plus haute juridiction administrative du pays, a déjà statué sur la question le 23 décembre 2013, considérant que « les parents accompagnateurs de sorties scolaires ne sont pas soumis au principe de neutralité religieuse ».

La LICRA, de son côté, est une association de lutte contre le racisme comme il en existe bien d’autres. Elle est actuellement présidée par Mario Stasi, qui a succédé à l’avocat Alain Jakubowicz en octobre 2017.
Ce dernier s’est notamment illustré par une polémique le 5 novembre 2016 après avoir posté sur Twitter un message qui ne laisse que très peu de doutes sur son idéologie, à savoir, « Nous devons combattre cette imposture qu’est le concept d’islamophobie ».

Un positionnement qui a fait grincer des dents l’observatoire national contre l’islamophobie qui avait annoncé « cesser tout échange et collaboration avec Licra tant qu’elle ne revient pas sur sa position qui a provoqué au sein des associations musulmanes et autres, un tollé général ».

Le « Comité laïcité république », n’est pas moins polémique que les deux premiers organisateurs. Ainsi, sur son site officiel, on peut lire dans la rubrique « revue de presse », de très nombreux articles reprenant les propos de la philosophe et épouse de l’ancien ministre de la justice Robert Badinter, Elisabeth Badinter qui estime notamment que « porter un burkini sur les plages de Nice est une provocation dégoûtante » ou encore qu’il « ne faut pas avoir peur d’être traités d’islamophobes ».

Le site diffuse même un article de journal le Figaro, daté du 13 janvier 2017 avec pour titre « La France abandonnée aux islamistes », nourrissant ainsi le sentiment d’invasion du pays par les Musulmans.

Et du côté des intervenants ?

Les débats « Toujours Charlie » aux Folies bergères ont eu des thèmes à priori neutres. On peut ainsi lire dans le programme officiel « Peut-on encore être Charlie dans le débat public ? » ou encore « Qu’est-ce que « je suis Charlie » a changé dans les médias? « 

La formule « Je suis Charlie » est née sur les réseaux sociaux à l’annonce de la tuerie perpétrée dans les locaux du journal satirique le 7 janvier 2017, par les frères Kouachi, membres d’AQPA en représailles de la publication d’une caricature du Prophète Mohamed.

Cette formule devenue un étendard de la liberté d’expression, a souvent pris la forme d’une injonction. A titre d’exemple, Nathalie Saint-Cricq, responsable du service politique de France 2 et qui intervient au débat de l’évènement « Toujours Charlie » n’a pas hésité le 14 janvier 2015 à l’antenne de la chaîne, à proposer de « repérer et traiter ceux qui ne sont pas Charlie ».

Les propos avaient provoqué un vif tollé sur les réseaux sociaux où une très grande partie de la communauté musulmane avait apporté son soutien aux victimes de l’attentat de Charlie Hebdo, tout en affirmant ne pas être Charlie et ne pas cautionner le contenu du journal, qui s’en prend régulièrement au Prophète ou à l’Islam.

Qui soutient l’initiative ?

Quelques membres du gouvernement avaient annoncé leur présence à l’évènement et apporté leur soutien à la cause « Toujours Charlie », à l’image de la ministre de la culture Françoise Nyssen qui avait annoncé sur son compte Twitter « je serai aux folies bergères ».

Les observateurs n’ont pas manqué de relever que la ministre apporte son soutien à une initiative d’associations dont la vision de la laïcité n’est pas en adéquation avec celle du Président Emmanuel Macron, qui a reconduit Jean-Louis Bianco et Nicolas Cadène à la tête de l’ « Observatoire de la laïcité » et qui défend une vision axée sur la loi de 1905 uniquement et refuse de « tomber dans l’hystérie » d’après les mots de son président.

Le président de l’Assemblée Nationale, François de Rugy avait, lui aussi, annoncé sa présence aux Folies bergères, indiquant qu’il soutenait « le combat pour les valeurs de liberté d’égalité, de fraternité et de laïcité ».

L’instrumentalisation des victimes d’attentats

Mais cette journée « Toujours Charlie » initialement destinée à soutenir la rédaction d’un journal victime d’une terrible tuerie, a finalement été portée par des intervenants dont la finalité était, selon certains observateurs, de brandir la laïcité pour «invisibiliser» les communautés musulmanes.

Il s’agissait, entre autres, de dire « laïcité » quand ils voulaient dire « immigration » ou « Islam », entrant en contradiction avec la loi de 1905 et la volonté du président Emmanuel Macron, qui s’inquiétait de « la tentation d’une sorte de religion laïque », d’après le journal Libération dans sa parution du vendredi 5 janvier.

Une inquiétude partagée par de plus en plus de Français ? Probablement, si l’on considère le récent sondage Ifop rendu public samedi et qui souligne que si les Français restent majoritairement «Charlie» à 61%, on observe tout de même une baisse de 10 points par rapport à janvier 2016.

Parmi les victimes d’attentats, figurent aussi des Musulmans

De nombreuses voix militantes s’étaient élevées contre la journée organisée aux Folies Bergères, à l’instar de David Nakache, président de l’association « Tous Citoyens ». Ce dernier avait en effet, alerté sur son compte Twitter des dérives par quelques mots  » Étrange printemps qui annonce les pires hivers… Non à l’instrumentalisation de la douleur et des victimes à des fins islamophobes #ToujoursCharlie ».

Cela a-t-il d’ailleurs un sens que de brandir l’étendard de l’islamophobie lorsque l’on sait qu’un tiers des 86 victimes de l’attentat de Nice commis le 14 juillet 2016 sur la « Promenade des Anglais » étaient de confession musulmane, dont des femmes voilées ?

Fawzia Azzouz
Source AA

Illustration Bembelly