MEDYATURK | Publié le . Mis à jour le

France: Phobie du voile islamique

Le 9 Avril 2015, la Chambre sociale de la Cour de cassation a inclus la Cour de Justice de l’Union Européenne à l’incessante polémique française sur le port du voile en milieu professionnel. Récemment, l’affaire Baby Loup qui s’était étendue sur plusieurs années avait donné lieu à un arrêt en date du 25 juin 2014[1] dans lequel la Cour affirme que: « la restriction à la liberté de manifester sa religion édictée par le règlement intérieur ne présentait pas un caractère général, mais était suffisamment précise, justifiée par la nature des tâches accomplies par les salariés de l’association et proportionnée au but recherché ». Pour rappel ledit règlement disposait que « le principe de la liberté de conscience et de religion de chacun des membres du personnel ne peut faire obstacle au respect des principes de laïcité et de neutralité qui s’appliquent dans l’exercice de l’ensemble des activités développées, tant dans les locaux de la crèche ou ses annexes qu’en accompagnement extérieur des enfants confiés à la crèche ». Alors que cette décision que la demanderesse a porté devant la Cour européenne des droits de l’Homme attend de subir un contrôle de conformité à la Convention européenne des droits de l’Homme, dans une affaire similaire la Cour de cassation a cette fois mobilisé la Cour de Justice de l’Union européenne sur la question du port du voile.

La majorité des observateurs, dont le professeur Patrice Adam pense que la Cour de cassation a de manière inattendue eu recours au renvoi préjudiciel alors qu’elle aurait pu prendre la décision sans en avoir besoin[2]. Dans l’affaire du 9 avril 2015[3], la plaignante, employée d’une entreprise d’ingénierie, avait été sommée par son employeur de retirer son voile suite à des mécontentements exprimés par des clients ne supportant pas le port du voile. Suite à son refus, elle fût licenciée pour faute. L’intéressée, estimant son licenciement contraire aux objectifs de la directive 2000/78 du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, attend désormais la décision de la Cour de Justice saisie sur renvoi. Ici, pour que le licenciement ne soit pas considéré comme contraire au principe de non-discrimination, il faut que la « différence de traitement fondée sur une caractéristique liée à l’un des motifs visés à l’article 1er ne constitue pas une discrimination lorsque, en raison de la nature d’une activité professionnelle ou des conditions de son exercice, la caractéristique en cause constitue une exigence professionnelle essentielle et déterminante, pour autant que l’objectif soit légitime et que l’exigence soit proportionnée ». Le fait que les clients ne souhaitent pas travailler avec une personne voilée est-il un élément qui fait partie de la nature de l’activité d’ingénieur ? Est-ce un objectif légitime ? Est-ce une exigence professionnelle essentielle et déterminante pour l’exercice de l’activité d’ingénieur ? La Cour de cassation a eu recours au renvoi préjudiciel pour pouvoir répondre à ces questions.

Contrairement à Baby Loup, en l’espèce il était question d’activités dirigées exclusivement vers le secteur privé d’une entreprise privée. Mais, la tentative des juges français qui signent les décisions les plus sévères sur la question du voile et de la liberté religieuse en Europe, d’inclure la Cour Européenne des Droits de l’Homme et la Cour de Justice de l’Union Européenne dans cette tourmente n’est pas un choix anodin. Comme l’indique le professeur Adam, les décisions de justice en Europe prennent un tournant plus libéral et plus respectueux des libertés, par exemple la décision de la Cour constitutionnelle allemande du 13 mars 2015 qui indique que « les enseignantes de l’école publique peuvent, sauf exceptions, porter le voile ». Cependant la France continue de résister et tente d’obtenir l’appui des organes juridictionnels de l’Union Européenne et du Conseil de l’Europe dans cette résistance. La question maintenant c’est : est-ce que ces juges vont défendre la position française ou provoquer sa remise en cause ? Les juridictions françaises ont trouvé l’appui extérieur de la Cour Européenne des droits de l’Homme pour leurs décisions récentes assez restrictives de la liberté d’expression, du moins pour l’affaire Dieudonné, par le contrôle de conformité à la Convention. Néanmoins, sur la question du voile, il semble qu’elles soient condamnées à voir leur solution devenir minoritaire. C’est assez paradoxal pour une logique qui s’est auto-définie comme devancière et créatrice en matière de droits de l’Homme.

 

J-M.Efe

 

[1] Cour de cassation, Assemblée plénière, 25 juin 2014, 13-28.369

[2] «Chambre sociale cherche CJUE désespérément », Semaine Sociale Lamy, n°1672

[3] Cour de cassation, chambre sociale, 9 avril 2015, 13-19.855