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Le fichage S est-il encore efficace dans la lutte contre le terrorisme?

Ismaïl Omar Mostefaï l’un des trois kamikazes du Bataclan (au moins 89 morts), les frères Kouachi (rédaction de Charlie Hebdo – 12 morts), Amedy Coulibaly (Hyper Cacher – 4 morts), Mohammed Merah (Toulouse – 7 morts), tous ces auteurs d’attentats perpétrés contre la France étaient fichés « S » . Et pourtant, les attentats ont eu lieu…

Ces fiches gérées par le ministère de l’Intérieur sont généralement délivrées par la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) ou à partir d’ informations communiquées par d’autres pays. Elles sont censées prévenir certains actes et mieux suivre des personnes jugées dangereuses. Pourtant, elles seraient plutôt inefficaces dans la lutte contre le terrorisme, estime Abdelaziz Chaambi, président du Centre Contre le Racisme et l’Islamophobie, approché par Anadolu.

Qu’est ce que la fiche S ?

Il s’agit d’une simple fiche de renseignement qui contient l’état civil, le signalement, la photographie, les motifs de recherche ainsi que la conduite que doivent adopter les forces de l’ordre lorsqu’elles sont en présence d’un individu recherché. Les concernés ne doivent pas savoir qu’ils sont recherchés, selon des sources policières.

Très peu d’informations précises sont disponibles sur ce fichier. Les dernières en date avaient été communiquées par Manuel Valls, alors Premier Ministre, en novembre 2015. Ainsi, 20 000 personnes étaient fichées S, dont plus de la moitié étaient liées à des mouvances islamistes avait-il annoncé. En mois de juillet, Gérard Collomb, ministre de l’Intérieur, a annoncé sur la radio RMC qu’un tiers des fichés étaient “des cas psychiatriques”

Mais être « fiché S » ne veut pas dire pour autant être coupable. C’est davantage un moyen permettant à l’administration de suivre les déplacements d’une personne, voire de déclencher, si nécessaire, une surveillance accrue comme des écoutes ou une filature mais en aucun cas de l’interpeller ni de l’expulser, rappelle Chaambi.

700 Français…

Parmi ces fichés S, les plus dangereux sont ceux qui reviennent des zones de combats. Dans l’échelle de classification, ils se trouvent au niveau 14 sur 16. Aucun détail n’a toutefois pu être obtenu concernant le niveau le plus élevé ni en termes de chiffres ni en termes de conditions.

Selon un état des lieux des autorités, près de 700 Français ou résidents en France fichés S étaient encore présents dans la zone irako-syrienne. Pratiquement la moitié sont des femmes. Plus de 250 de ces combattants seraient morts dans la zone, estime le gouvernement.

Autant les départs représentent un véritable casse-tête pour les autorités, autant les retours sont, eux, difficiles à gérer, puisque les concernés ne sont pas tous emprisonnés dès leur retour. En effet, certains reviennent de manière illégale en France. Selon un bilan en date du 12 mai 2017, 213 personnes étaient revenues sur le territoire national depuis 2015. La France est par ailleurs l’un des pays qui fournit les plus gros bataillons de « djihadistes » étrangers aux conflits en Syrie et en Irak.

Par ailleurs, les mosquées se trouvent, elles aussi, dans les viseurs des renseignements généraux qui classe les « fichés S » en fonction des fréquentations.

D’après le ministère de l’Intérieur qui se base sur les chiffres fournis par le Service central des renseignements territoriaux (SCRT), 120 mosquées seraient ainsi de « tendances radicales ». Or, Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur à l’époque avait annoncé, au mois de février de cette année aux médias français, la fermeture de une vingtaine seulement de ces mosquées.

Très peu d’études sur le profil de ces personnes qui rejoignent du jour au lendemain les rangs des combattants, ont été réalisées. Pour Romain Caillet, spécialiste des courants djihadistes, joint par Anadalu, « le profil des djihadistes varie en fonction des pays ».

Ainsi, selon lui : « En France, ceux sont en majorité des jeunes issus de l’immigration et de familles modestes. Même s’il existe des exceptions, la plupart d’entre eux n’ont pas fait de longues études et ont connu le chômage ou la précarité de l’emploi ».

Mais ce qui pose problème avec ces fichés S, commente Abdelaziz Chaambi, c’est que de nombreux militants pour les droits civiques se retrouvent également dedans.

Humiliation

Chaambi l’a d’ailleurs appris à ses dépens, raconte-t-il. « Je suis moi-même fiché S, chaque fois que je prends l’avion pour aller quelque part, je suis mis à l’écart et on me questionne sur ma destination, sur mes projets », regrette, le président du Centre Contre le Racisme et l’Islamophobie (CRI).

Vivant cette situation comme « une humiliation», il poursuit «on me regarde de manière méprisante et on me traite comme si j’étais un terroriste. Je suis fiché S uniquement parce que je dénonce plusieurs travers par le biais de mes actions civiles », assure-t-il.

Ne voulant plus subir cette situation, Chaambi a décidé de porter plainte auprès du Conseil de l’Etat pour obtenir une explication de son fichage, faute de ne pas l’avoir obtenue auprès de la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL). « J’irais jusqu’à la Cour Européenne des Droits de l’Homme s’il le faut », dit-il, très déterminé à en «découdre avec cette mésaventure ».

Optimiser les moyens

Pour Chaambi, « s’occuper des militants associatifs, qui font de la justice leur combat essentiel, est contre-productif car l’énergie et les moyens mis en œuvre pour suivre ou surveiller des militants comme moi, serait au dépens des moyens mis à la disposition de la police pour poursuivre les vrais terroristes », soutient-il.

« Cette méthode peut avoir des conséquences plus graves. Cela peut même influencer des gens fragiles qui peuvent très mal vivre cette stigmatisation et tomber dans le radicalisme ou la violence », craint-il.

D’ailleurs, dit-il, «la lutte contre le terrorisme est encore très peu efficace en France, dans la mesure où sur les 4000 perquisitions, seuls 6 affaires avaient un lien avec le terrorisme ».

Cet avis est partagé par Maitre Sefen Guez-Guez. « Le renseignement français est devenu boulimique : il veut en savoir toujours plus » estime-t-il, dans une déclaration au correspondant d’Anadolu.

Pourtant, il considère qu’en termes de prise d’informations la fiche S « est un bon outil » avant de tempérer « que la question de l’efficacité peut se poser, dans la mesure où chaque fois qu’il y a un attentat, on entend souvent dire que la personne était connue des services de renseignements ».

« Grâce à l’expérience que j’ai pu acquérir dans mes différents dossiers, je peux affirmer que les services sont saturés ou se saturent et cela entraine de faux positifs » juge, l’avocat spécialiste dans les questions de discrimination.

Les politiques ont fait de multiples propositions chocs, afin d’écarter la menace potentielle que peuvent représenter les fichés S parmi lesquelles le bracelet électronique, la résidence surveillée ou encore des « centres d’internement ».

Par ailleurs, le gouvernement a fait adopter une série de mesures anti-terroristes après la fin de l’état d’urgence prévue pour le 1er Novembre 2017.

Fatih KARAKAYA
Source : AA